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ALPHABETS ANCIENS. 11

langues : enfin c’est du bali que les Siamois ont emprunté leurs termes de religion, de justice, les noms de charges & tous les ornemens de leur langue vulgaire. On croit pouvoir assurer que cette langue balie a été portée dans le royaume de Siam par ces pieux solitaires qui à Siam portent le nom de talapoins ; à la Chine & au Japon, celui de bonzes ; en Tartarie & aux Indes, ceux de lamas, de chamenes ou samanes ; ils y porterent cette langue environ l’an 544 avant Jesus-Christ, avec le culte du dieu connu dans tous ces pays de la haute Asie sous les noms de boudha ou boutta, chaka, fo ou fochekiameouni, sommonacodom, &c. Avant, ces religieux habitoient l’Inde en deçà du Gange, & même leur dieu Boudha, selon quelques-uns, étoit originaire du Caschemire, dans le voisinage de la Perse, ce qui feroit soupçonner que cette langue balie, dont il est question, pourroit être l’ancien persan appellé pahalevi ou pahali. Le terme même de pagode est tout persan, pout gheda, c’est-à-dire, temple d’idole, & le nom même de samanes peut dériver du persan saumenischin, hermites ; de plus amples connoissances sur la langue balie décideront un jour ce point de critique intéressant.

PLANCHE XXII.
Thibetan.

Le rouleau thibetan envoyé en 1722 à feu M. l’abbé Bignon par le czar Pierre le Grand, & dont M. Fourmont l’aîné a fait la traduction, m’a servi de modele pour tracer les élémens de l’alphabet thibetan. Je ne pouvois en choisir de plus beau, il est écrit avec une élégance & une netteté admirables. L’arrangement de cet alphabet, ses dénominations, les nombres cardinaux & le reste des remarques qui occupent le bas de la planche sont tirées d’un manuscrit apporté du Thibet par un missionnaire, contenant une espece de dictionnaire italien-thibetan, à la tête duquel se trouve une instruction sur la lecture de cette langue. J’ai encore fait usage d’une feuille volante que j’ai trouvée dans mes papiers, & qui vient à ce que je pense du P. Parrenin, jesuite, missionnaire de la Chine. Les Thibetans écrivent comme nous de gauche à droite.

Le Thibet passe parmi les Tartares pour être le centre & le chef-lieu tant de leur religion que de leurs sciences ; c’est à Lassa, où réside le souverain pontife des lamas, qu’ils vont adorer le dieu suprême dans le temple qui lui est consacré ; c’est auprès de ce chef de leur hierarchie, que les lamas de tous les royaumes voisins, vont s’instruire de leur théologie & recevoir les ordres.

PLANCHE XXIII.
Tartare mantcheou.

Les Tartares Mantcheous, aujourd’hui maîtres de la Chine, se servent communément de ce caractere qu’ils tiennent des Tartares Mogols, les uns & les autres anciennement n’écrivoient point & l’origine du caractere que l’on présente ici ne remonte pas au-delà du regne de Genghizkan, empereur des Mogols.

La horde dont Genghizkan étoit le chef n’avoit point de caracteres, & ni ce prince, ni ses enfans ne savoient ni lire, ni écrire, avant son avénement à l’empire. Tayang, roi des Naimans, avoit à sa cour un seigneur igour appellé Tatatongko, qui gardoit le sceau de ce prince, & passoit pour un habile homme. Après la mort de Tayang, Tatatongko fut pris & mené à Genghizkan, qui apprit de lui

l’usage du cachet royal. Tatatongko se rendit encore plus utile aux Mogols, en introduisant chez eux les caracteres igours qui ne furent point changés jusqu’au regne de Coublaikan, qui ordonna, l’an 1266 par un édit public, que l’on fît usage dans tous les tribunaux des caracteres faits par Pasepa, lesquels furent appellés les nouveaux caracteres mogols.

Pasepa étoit un seigneur thibetan, rempli de mérite, & dont les ancêtres, depuis dix siecles, avoient été les principaux ministres des rois de Thibet, & des autres rois des différens pays qui sont entre la Chine & la mer Caspienne. Pasepa se fit lama, & s’acquit une si grande réputation que Coublaikhan l’attacha à sa cour l’an 1260, & le déclara chef de tous les lamas. Coublaikan crut que la grandeur & la gloire de sa nation demandoient qu’elle eût des caracteres qui lui fussent propres, & comme Pasepa connoissoit non-seulement les caracteres chinois, mais encore ceux du Thibet appellés caracteres du tangout, ceux d’igour, des Indes & de plusieurs autres pays situés à l’occident de la Chine, cet empereur le chargea de cette commission. Effectivement Pasepa examina avec soin l’artifice de tous ces caracteres, ce qu’ils avoient de commode & d’incommode, & en traça mille, & établit des regles pour leur prononciation & la maniere de les former. Coublai le récompensa de son travail par une patente de regulo, remplie de louanges. Malgré cela, les Tartares, accoutumés aux caracteres igours, eurent de la peine à apprendre les nouveaux, & l’empereur fut obligé de renouveller ses ordres pour être obéi. Il y a apparence qu’après la mort de Coublai, les Tartares reprirent leurs premiers caracteres comme étant plus faciles : ce qu’il y a de certain c’est que nous ignorons aujourd’hui quel pouvoit être cet alphabet composé de mille élémens. Il y a lieu de présumer que Pasepa avoit, comme dans la plûpart des alphabets indiens, lié les voyelles avec les consonnes, dont la multiplication avoit pû produire ce nombre de mille caracteres ; car enfin il n’est point de peuple dont les organes puissent produire mille sons différens.

Les caracteres mantcheoux sont absolument les mêmes que les caracteres igours, introduits à la cour des Mogols, du tems de Genghizkan ; les Mantcheoux n’y ont ajouté que les traits & les petits cercles qui marquent l’aspiration ; ce qu’il y a de singulier, c’est que ces caracteres igours, mogols, ou mantcheoux, car on peut à présent leur donner ces différens noms, ont le même coup d’œil que les caracteres syriaques, & que la valeur & la configuration de plusieurs de leurs élémens, sont décidemment les mêmes ; aussi y a-t-il beaucoup d’apparence que les Igours, horde des Turcs orientaux qui habitoient dans le voisinage de la Chine, où est situé aujourd’hui Turphan, les avoient empruntés des Syriens nestoriens qui s’étoient répandus jusques dans les pays les plus éloignés de la haute Asie ; les Igours devinrent tous chrétiens. Ils avoient du tems de Genghizkan des évêques particuliers, comme il y en avoit à la Chine, ainsi qu’on en a la preuve par le monument de Sighanfou. Les caracteres mantcheoux s’écrivent perpendiculairement en commençant à la droite & finissant à la gauche, comme la plûpart des orientaux : cette façon extraordinaire de tracer leurs mots perpendiculairement, leur est venue probablement encore des Syriens, qui bien qu’ils soient dans l’habitude de lire de droite à gauche, n’ont pas laissé de tracer leurs caracteres perpendiculairement de haut en bas ; ainsi que le dénote ce vers latin :

E cœlo ad stomachum relegit chaldæa lituras.