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donnoit des ordres ; qu’elle avoit un cortège qui ne la quittoit pas ; qu’elle distribuoit à chacune des abeilles, comme à ses sujets ou à ses esclaves, des travaux, qu’elles exécutoient ponctuellement ; qu’auprès de l’ouverture de la ruche, il y avoit des sentinelles, pour écarter les étrangers ; que des gardes avancées se promenoient dans les environs, pour avertir du danger ; enfin on a comparé une ruche à une république. Athènes, dit M. de Buffon, qui blâme avec raison cet enthousiasme, n’étoit pas mieux conduite, ni mieux policée.

Si on se donne la peine de réfléchir sur l’industrie d’un grand nombre d’autres animaux, soit de ceux qui vivent isolés, soit de ceux qui vivent en familles, on verra qu’ils ne le cèdent point aux abeilles, & qu’ils n’en diffèrent, que parce qu’on ne les a pas bien observés. La plupart d’entr’eux savent mettre leurs provisions & leurs petits hors de la portée des hommes dont ils redoutent l’asservissement. Les abeilles s’exposent en entrant dans les logemens que nous leur préparons, à être dépouillées du produit de leurs fatigues, & à être tuées même, quand nous regardons comme avantageux de nous en défaire. Quoiqu’elles n’aient pas toujours l’avantage sur les autres animaux, il n’en est pas moins vrai qu’elles sont dignes de fixer l’attention des observateurs, & il y auroit autant d’injustice à les regarder comme de simples machines, mues par des ressorts secrets, qu’il y a de prévention à leur attribuer une intelligence rare, qui les place à côté de l’homme. Je crois ne devoir donner ni dans l’un ni dans l’autre extrême. Les abeilles sont un objet important pour les cultivateurs, puisqu’elles peuvent faire partie de leurs revenus. Je continuerai donc à développer tout ce qui les concerne, en n’insistant que sur ce qui est d’observation & d’expérience.

Ennemis des Abeilles.

Les abeilles ont à redouter un grand nombre d’ennemis ; elles n’en ont pas de plus cruels que les insectes de leur espèce ; car on voit des abeilles chercher à en piller d’autres, ou à s’établir dans des ruches qui ne leur sont pas destinées. Les unes se portent à cet excès par caractère, & parce qu’elles sont paresseuses ; ce sont les grosses brunes & les grises ; les autres ne s’y déterminent que quand elles y sont forcées par le besoin, & par l’impossibilité d’y satisfaire autrement. Les grosses brunes qui habitent ordinairement dans des trous de murailles, dans des creux d’arbres ou dans la terre, s’introduisent dans les ruches domestiques, pour en enlever le miel. Les grises, qu’on croit issues d’abeilles sauvages, se mêlent aux abeilles domestiques, & les emmènent avec elles. On s’apperçoit que des abeilles pillent une ruche, lorsqu’on entend aux environs un bourdonnement considérable ; lorsqu’on en voit sur le soir aller & venir en grand nombre & précipitamment, se présenter à l’entrée, & s’en retourner. On distingue celles qui pillent de celles qui sont pillées, parce que les premières ont le ventre gros & plein. Les ruches qui se trouvent le plus en vue, sont le plus exposées à cet accident ; il a lieu ordinairement dans les mois de mars, avril & mai. On a conseillé d’éloigner les mouches pillardes par caractère, ou de les empêcher de sortir pendant quelques jours, en bouchant les ouvertures de leurs ruches. Ces moyens sont insuffisans pour corriger leur ardeur pour le pillage ; il faut les faire mourir avec des mèches soufrées ; elles seroient capables de mettre pendant longtems le désordre dans un rucher, & causeraient au propriétaire un tort considérable.

On doit se conduire différemment à l’égard des abeilles qui ne pillent les autres, ou ne s’établissent dans leurs ruches que par nécessité ; car on a remarqué que c’étoit seulement quand elles manquoient de provisions, ou lorsque des insectes tels que les araignées, les fausses-teignes étoient en grand nombre dans leurs ruches, ou lorsque les essaims étant trop foibles, ils craignoient de ne pas suffire au travail ; ou enfin lorsque la reine étoit morte. Le trouble qu’excite dans des ruches les abeilles étrangères, est suivi de combats, qui ne se terminent que par la perte entière des unes ou des autres, & quelquefois de toutes. Pour la prévenir, il faut, d’une part, mettre hors d’insulte les ruches bien conditionnées, & de l’autre, réparer le mauvais état de celles que les abeilles abandonnent. On diminue l’entrée des premières, en n’y laissant qu’un petit trou, facile à défendre ; on enduit les environs de suc d’oignon ou d’ail, pour écarter les abeilles étrangères, sans nuire aux autres, qui s’accoutument à l’odeur ; ou bien, on couvre les ruches pillées d’une serviette trempée dans de l’eau fraîche, de manière que l’entrée en soit entièrement fermée ; par ce moyen les abeilles domiciliées n’ayant qu’un petit nombre d’ennemis à combattre, en viennent facilement à bout, & les tuent. On prévient par-là la destruction des ruches bien conditionnées ; on empêche les abeilles de se livrer au pillage, quand on a l’attention de voir de tems en tems en quel état sont leurs ruches ; car, selon la cause qui les porte à s’introduire chez les autres, il est nécessaire ou d’y mettre du miel, ou d’y entretenir la propreté, ou de réunir ensemble des essaims foibles, ou de donner une reine à ceux qui n’en ont pas, en en prenant une dans des ruches où il y en a plusieurs.

Beaucoup d’animaux sont incommodes aux abeilles ; les ours, les putois & les renards, friands de miel, détruisent les ruches ; un mémoire que j’ai reçu de l’Amérique septentrionale, m’apprend que les cyprès-chauves, qui quelquefois sont creux, servent de retraite à une quantité prodigieuse d’essaims d’abeilles, dont le miel vaut les meilleurs miels d’Europe. On y a vu des rayons