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8 DISCOURS

de la manière dont ils étoient cultivés ; il faisoit venir les laboureurs, pour louer & encourager ceux dont les champs étoient bien tenus, & pour faire des reproches aux autres. Les fruits & les productions de la terre étoient alors regardés comme les plus justes & les plus légitimes richesses. Ancus Martius, quatrième roi des Romains, qui se piquoit de marcher sur les traces de Numa, ne recommandoit rien tant aux peuples, après le respect pour la religion, que la culture des terres & le soin des troupeaux. Cet esprit se conserva long-tems chez les Romains; dans les tems postérieurs, celui qui s’acquittoit mal de ce devoir, s’attirait l’animadversion du censeur.

Les tribus rustiques formoient dans Rome le premier ordre des citoyens. Dans les beaux siècles de la république, quand le sénat s’assembloit, les pères conscripts venoient des champs, pour dicter des délibérations pleines de sagesse. Les consuls soupiraient après le terme de leur consulat pour aller présider eux-mêmes à la culture de leurs héritages. L. Quintius Cincinnatus & Attilius étoient occupés l’un à labourer & l’autre à semer son champ, quand on les vint chercher pour en faire des chefs de la république. Le dernier venoit d’être élu consul ; le premier, créé dictateur dans une conjoncture très-pressante, quitta ses instrumens rustiques, vint à Rome, où il entra au milieu des acclamations du peuple, se mit à la tête de l’armée, vainquit les ennemis & revint seize jours après à sa maison de campagne, pour reprendre ses fonctions ordinaires. Les ambassadeurs des Samnites étant venus offrir une grosse somme d’or à Curius Dentatus, le trouvèrent assis auprès de son feu, où il faisoit cuire des légumes. Ils reçurent de lui cette sage réponse : « Que l’or n’étoit pas nécessaire à celui qui sçavoit se contenter d’un tel dîner, & que pour lui il trouvoit plus beau de vaincre ceux qui avoient cet or, que de le posséder. » Cet illustre Romain avoit déja reçu trois fois les honneurs du triomphe.

Si Rome n’a jamais été florissante comme elle le fut dans ces momens, les campagnes ne furent aussi jamais mieux cultivées ; en sorte qu’on est porté à croire que c’est à la culture des terres que la république est redevable de sa grandeur & de son élévation. L’exercice de cette vie laborieuse, dit Pline, forma les hommes qui se sont si bien distingués dans l’art militaire. Il sortit de cette école de braves capitaines & de bons soldats, pleins de droiture & de sentimens. Mais la gloire des Romains ne dura pas au-delà des principes qui l’avoit produit. Le luxes donna d’abord l’atteinte la plus funeste à l’agriculture, & entraîna bientôt la ruine entière de la république. Les Romains, avides de plaisirs & d’honneurs, abandonnèrent leurs terres, se retirèrent à la ville, & laissèrent à des esclaves le soin de la culture. Ces mercenaires ne craignant plus l’œil du maître, s’acquittoient mal


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