Page:Encyclopedie Catholique - T14-LO-NYS.djvu/158

Cette page n’a pas encore été corrigée

MAL.

( 1U)

MAL.

il n’est pas tout puissant ou enfin il l’a pu, mais il ne l’a point voulu, et dans ce cas il n’est ni infiniment bon ni infiniment saint. On répond, en substance, que si la possibilité du mal moral est la conditionnécessaire d’un bien plus grand que celui qui pourrait résulter de l’iaipossibilité absolue du mal, il suit que le péché, tout en restant un mal réel, n’est cependant pas un mal absolu, puisqu’il concourt à la perfec-" tion de l’ensemble des êtres, et qu’ainsi il rentre dans l’ordre universel. Or, d’une part, il est évident que la possibilité du mal est une suite nécessairede la liberté morale, et de l’autre, que l’existence de créatures douées de cette liberté est un bien plus grand que leur non-existence. Tout se réduit donc à prouver que le libre arbitre des créatures implique la possibilité du mal moral, et qu’il est lui-même un plus grand bien. Or, en fait, le péché ou l’infraction des lois de l’ordre moralnevientquedela libre volontédelacréature intclligente ; et en droit, il est absolument impossible de lui assigner une autre cause. D’un autre [côte, on essaierait en vain de concevoir des créatures qui seraient à la fois libres et incapables de faire le mal ; car le bien, en elles, ne pourrait dériver nécessairement de la perfectionde leur volonté, qu’autant que cette perfection serait absolue et sans limites, c’est-à -dire, invinciblement portée au bien par sa propre nature ; si on la suppose imparfaite, le bien ne peut en dériver nécessairement, à moins d’une action extérieure, irrésistible qui imposerait à la créature une véritable nécessité d’obéir à la loi ; or, cette action serait précisément la destruction de la liberté morale donc, l’imperfection de l’être intelligent, l’existence d’une loi morale, et la liberté étant données, le mal moralest possible ; car la liberté d’une créature imparfaite est elle-même nécessairement imparfaite, par conséquent défectible ou capable de se porter au mal comme au bien, d’observer ou de transgresser la loi morale essentiellement obligatoire. Or, 1° l’imperfection de la créature n’est pas un mal proprement dit, c’est une suite nécessaire de son essence. L’incréé seul est parfait ou infini. Cette imperfection n’est donc pas un mal que Dieu puisse empêcher ; elle est même un bien en ce sens que la création est un bien elle-même, et que création et imperfection sont des termes corrélatifs. Se plaindre de l’imperfection des êtres créés, c’est se plaindre de ce qu’il y a des créatures ; c’est accuser Dieu d’avoir communiqué hors de lui l’intelligence, la force, l’amour, la vie, l’être. 2° La loi morale est un bien et un bien nécessaire, elle dérive de l’essence des choses, puisqu’elle subordonne les créatures à Dieu et qu’elle leur trace la voie qu’elles doivent suivre pour atteindre leur fin, le bonheur suprême elle est nécessaire comme Dieu même, n’étant, à vrai dire, que la plus haute manifestation de la sagesse infinie, la consécration de l’ordre qui est lui-mème l’expression de la volonté souverainement droite, bonne et sainte de Dieu. 3° Enfin, la liberté même imparfaite, est une grande perfectiondans l’être intelligent, sa prérogative la plus excellente c’est un bien fini, à la vérité ; mais c’est l’unique moyen d’arriver à la vertu, et par la vertu au véritable bonheur, à la seule félicité conforme à la nature de l’être intelligent. Elle est donc pour celui-ci le plus grand bien, le principe de sa prééminence sur les autres créatures, la. condition nécessaire d’un monde parfait et digne de Dieu. La possibilité du mal moral se concilie donc avec la bonté et la sagessedivines. Otez cette possibilité, il n’y a plus de libre arbitre ; sans libre arbitre, la nature humaine, la créature intelligente n’existe plus ; sans l’homme et l’ange, l’univers n’est plus qu’une immense machine dont on ne connaît plus le but, une œuvre inutile et bien inférieure au monde actuel, c’est-à-dire moins digne de Dieu. On répond à la seconde difficulté,que le mal n’est pas une suite nécessaire de la liberté ; que Dieu l’a prévu, ou plutôt qu’il le voit éternellement parce qu’il possède une science infinie qui embrasse d’une seule vue tous les futurs, et que tous les points de la durée successivecorrespondent actuellement à la durée qui est en Dieu un présent éternel ; que cette prescience n’influe en rien sur la détermination des créatures libres, parce que cette prescience ou plutôt cette science suppose son objet et ne le crée point ; que Dieu pourrait empêcher le mal, et même l’empêcher efficacement, mais qu’il ne pourrait le rendre absolument impossiblesans anéantir la liberté dans son essence ; que Dieu veut empêcher le mal, mais qu’il le veut d’une volonté subordonnée aux libres déterminations de ses créatures, qu’il leur ménage des moyens surabondants de prévenir ce mal et de le réparer quand a été commis, etc. Voilà en peu de mots comment on explique, en philosophie, la possibilitéet l’origine du mal ; et pour confirmer cette explication vraie et plausible, on emprunte à Rousseau ces pages justement célèbres et qui résument si bientoute cette discussion : «Si l’homme est actif et libre, il agit de lui-même tout ce qu’il fait librement n’entre point dans le système ordonné (ou nécessaire) de la Providence, et ne peut lui ètre imputé. Elle no>vcut point le mal que fait l’homme en abusant de la liberté qu’elle lui donne, mais elle ne l’empêche pas de le faire, soit que de la part d’un être si faible cemal soit nul à ses yeux. (11fallait bien faire cette concession à la philosophie incrédule du xvmesiècle ; du reste, il ne faut pas l’oublier, c’est un déiste qui parle), soit qu’elle ne pût l’empêcher sans gêner sa liberté, et faire un mal plus grand en dégradant sa nature. Elle fa fait libre afin qu’ilil fit, non le mal, mais le bien par choix. Ellc l’a mis en état de faire ce choix en usant bien des facultés dont elle l’a doué ; mais elle a tellement borné ses forces, que l’abus de la liberté qu’elle lui laisse ne peut troubler l’ordre général. Le mal que l’homme fait retombe sur lui sans rien changer au système du monde, sans empêcher que l’espèce humaine elle-même ne se conserve malgré qu’elle en ait. Murmurer de ce que Dieu ne l’empêche pas de faire le mal, c’est murmurer de ce qu’il la fit d’une nature excellente, et de ce qu’il mit à ses actions la moralité qui les ennoblit, de ce qu’il lui donna droit à la vertu. La suprême jouissance est dans le contentement (légitime) de soi c’est pour mériter et obtenir ce contentement que nous sommes placés sur la terre et doués de la liberté, que nous sommes tentés par les passions et retenus par la conscience. Que pouvait de plus en notre faveur la puissance divine elle-même ? Pouvait-elle mettre de la contradiction dans notre nature, et donner le prix d’avoir bien fait à

qui

n’eut pas le pouvoir de mal faire ? Quoi 1 pour empêcher 1 homme d’être méchant, fallait-il le borner à l’instinct et le faire bête ? Non, Dieu de mon âme, je ne te reprocherai jamais de l’avoir faite à ton image, afin que je pusse être libre, bon et heureux comme toi C’est l’abus de nos facultés qui nous rend malheureux et méchants. Nos chagrins, nos soucis, nos peines nous viennent de nous. Le mal moral est incontestablement notre ouvrage et le mal

physique ne serait rien sans nos vices qui nous l’ont rendu sensible. N’est-ce pas pour nous conserver que la nature nous fait sentir nos besoins ? La douleur du corps n’est-elle pas un signe que la machine se dérange, et un avertissement d’y pourvoir ? La mort.

les méchants n’empoisonnent-ils pas

leur vie et la nôtre ? Qui est-ce qui voudrait toujours vivre ?. Homme, ne cherche plus l’auteur du mal cet auteur c’est toi-même. Il n’existe point d’autre mal que celui que tu fais ou que tu souffres, et l’un et l’autre te viennent de toi. Le mal général ne peut être que dans le désordre, et je vois dans le système du monde un ordre qui ne se dément point. Le mal particulier n’est pas dans le sentiment de l’être qui souffre et ce sentiment, l’homme ne l’a pas reçu de la nature (lisez de Dieu auteur des lois de la nature), il se l’est donné. La douleur a peu de prise sur quiconque ayant peu réfléchi, n’a ni souvenir, ni prévoyance (singulier commentaire de ce principe absurde V homme qui pense est un animal dépravé !) Otez nos funestes progrès, ôtez nos erreurs et nos vices, ôtez l’ouvrage de l’homme, et tout est bien. » (Rousseau, Emile, profess. de foi du vicaire savoyard.) Ce langage est beau, éloquent

cette

argumentation

est vigoureuse

triomphante.

L’esprit néanmoins n’est pas encore entièrement satisfait de cette explication ; quoique vraie, elle est incomplète ; elle laisse toujours subsister cette grave difficulté, savoir : comment concevoir que de Dieu, principe essentiellement bien infini, absolu, il puisse sortir une créature qui ait en soi quelque chose de mauvais, ou du moins le principe, la cause et le germe du mal ? Si la créature n’a pas eu dès le moment de sa création ce principe,

ce germe funeste, comment a-t-elle pu

commettre le mal ? Elle l’a certainement commis, puisqu’ilil existe partout ; elle en portait donc la cause en elle-mème. Qui lui a donné cette puissance ? Dire que l’homme était libre, et que, porté au mal, tenté par l’ange déchu, il prévariqua librement, ce n’est pas répondre à la question, c’est la porter plus haut et reculer la difficulté sans la résoudre. Nous franchissons tous les degrés intermédiaires, toutes

les distances ; une créature est devenue coupable en cédant aux suggestions d’une autre créature déjà mauvaise ; l’ange est tombé d’abord, puis il a entraîné l’homme dans sa chute tout cela se conçoit sans peine. Mais nous parlons de la première créature tombée cette créature avait en soi le principe du mal, puisqu’elle l’a commis. D’où le tenait-elle ? De Dieu ? Cela est impossible ; car il est essentiellement bon,