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DÉSIR


sont donc étrangement mépris. D’autres, en prétendant que les désirs sont la substance de l’âme, n’ont pas moins erré car, si nous avons conscience de notre identité, si nous nous sentons un, toujours identique sous l’infinie variété des phénomènes de notre vie, il ne peut se faire que les désirs, si variés, si mobiles, si opposés parfois, constituent cette unité substantielle que nous sommes. Toutefois, de cette opinion à la vérité il n’y a pas loin : car les désirs ne tiennent pas au même fond : l’amour ; or, l’amour est précisément ce foyer de mouvement, cette intarissable source, cette force vive et énergique qui est à la racine et comme sur l’arrière-plan de notre être, en constitue l’essence ou plutôt se confond avec ce que la substance a de plus intime, s’il n’est pas lui-même cette substance. Lorsque nous considérons la vie en nous-mêmes, nous apercevons bientôt que ce qu’il y a de plus primitif dans sa manifestation, c’est une incessante activité ; mais cette activité elle-même, qu’est-ce qui en caractérise la nature c’est l’amour ; c’est-à-dire la tendance spontanée, l’aspiration irrésistible vers les objets avec lesquels l’être est destiné à entrer en communion. Mais, tandis que l’amour constitue ainsi la tendance primitive et indéterminée, le foyer de l’activité, la force, ou le principe, le désir en est la tendance déterminée, le mode de manifestation, la forme ; il est l’application variée du principe à ses objets ou à ses fins expresses.

L’âme ne saurait être mieux définie, à cet égard, que comme une force vive, une activité aimante et désireuse, dirigée par la loi morale, et tendant vers son but (la vie) à la lueur de l’intelligence ou de la raison.

Du point de vue de l’activité et du mobile fondamental ou supérieur de nos actes, qu’est-ce que l’homme ? Un désir immortel, qui, toujours mouvant et transformé, cherche éternellement sa satisfaction une aspiration et une expiration toujours renouvelées une force qui tend, qui se pousse et s’entraîne spontanément, irrésistiblement vers quoique objet, quelque but, quelque conquête ou quelque réalisation.

L’amour développé et satisfait, voilà la vie. L’homme est tout entier dans son amour. Il a bien de l’intelligence ; mais elle est au service de son désir. Il a bien une volonté, et des forces, et des sens mais ce sont les ministres, les instruments ou les conditions de la satisfaction de son amour. Le foyer, la force impulsive, l’origine et le but, le commencement et la fin du mouvement de l’esprit et du corps, c’est donc l’amour. Ainsi, tout ce bruyant fracas de la vie, tout ce grand déploiement d’activité et de forces qu’on voit dans le monde, c’est de l’amour, du désir


qu’il procède, c’est à sa satisfaction qu’il aspire ou conspire. « C’est l’amour qui nous fait demander. qui nous fait chercher et qui nous fait trouver, disait saint Augustin.

Mais qu’est-ce que l’amour lui-même ? C’est le bonheur ; car aimer, c’est jouir c’est être heureux du bonheur d’autrui. Quand on aime, ou l’on ne souffre point, ou l’on aime sa souffrance. Voilà donc que l’homme se réduit à un être qui est en quête de son bien, dont l’unique principe et l’unique fin, la seule pensée fixe, et le seul mobile est l’amour ; et indirectement par l’amour, la félicité, qui en est inséparable comme le fruit de la fleur.

Dès lors la question est toute simple. Vers quoi notre amour doit-il se tourner au-dessus de tout et d’abord et finalement ? Et si les désirs de l’âme se rapportent à des objets fort divers, quel ordre devons-nous garder dans nos différents amours ?

Or, la philosophie moderne, d’accord avec toutes les grandes philosophies du passé, avec toutes les religions du monde, nous le dit positivement il faut se tourner vers Dieu, avec amour et bonne volonté, pour recevoir et conserver la lumière, la chaleur, la force et, par-dessus, la félicité. Dieu est notre souverain bien, puisqu’il a, relativement à nous, toutes les perfections. Étant infiniment plus que toutes choses, il doit être infiniment préféré à toutes choses par des êtres intelligents et moraux.

Remarquons ici que l’homme ne recherche pas seulement son bien il sait de plus qu’il est obligé moralement de le rechercher partout où sa raison et son cœur lui disent qu’il est, et de choisir un plus grand bien de préférence à un moindre, toutes tes fois que son esprit juge que t’nu est plus grand et l’autre moindre. De sorte que c’est pour l’être une obligation absolue autant que son intérêt de vouloir son bien, de rechercher le bonheur, en conformité des indications de son intelligence. Et, en effet, pour obéir à sa nature ; respecter sa destinée, et aller à son bien, l’être moral doit obéir à l’obligation morale, à la raison, au devoir, qui certes sont dans la nature tout comme les plus vulgaires désirs. C’est dans ce sens large et philosophique qu’il faut entendre ce qui suit. Tout homme veut son bien, rien que son bien il cherche le bonheur, et sa volonté va toujours là où son intelligence lui dit qu’il est ; et c’est parce qu’elle lui dit qu’il est où est le devoir, la loi morale, que l’homme qui a compris préfère le devoir à t’intérêt actuel, qu’il subordonne l’intérêt d’un jour à l’intérêt de toujours.

« La seule raison pour laquelle Dieu doit