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bouche, donnant ainsi aux parois de ce canal leur plus grand degré possible d’écartement. Si ce dernier son est effectivement celui des deux que l’usage fait le plus souvent long, il n’en est pas moins vrai que le premier peut également êlre affecté de cette quantité, comme cela est évident pour tout le monde dans les deux premières personnes plurielles du prétérit défini de la première conjugaison.

C’est une question qui a été longtemps controversée que celle de savoir si les lettres que nous avons indiquées comme correspondant à notre A, dans les langues sémitiques, telles que l’hébreu et l’arabe, ont jamais eu comme lui la valeur de pure voyelle. Il est certain que l’alef ou l’élif est assez généralement considéré aujourd’hui plutôt comme une consonne ou une marque de légère aspiration, et qu’il est parfois, comme tel, accompagné des signes des autres voyelles ; mais il est vrai de dire aussi, qu’il est affecté plus souvent encore de la voyelle a, qui semble avoir pour ainsi dire conservé pour lui plus d’affinité.

En examinant avec attention la forme la plus ancienne de l’alpha des Grecs (A), il est facile d’y reconnaître l’origine de la double forme de l’A des modernes (A, a.) Quant à l’origine même de cet alpha primitif, il est moins aisé de la déterminer. D’après l’opinion la plus généralement adoptée, il faut y reconnaître les traits assez altérés de l’ancien alef des Phéniciens, dont le nom, au rapport de Plutarque[1], signifiait un bœuf. Quoiqu’en hébreu, où on le retrouve, ce nom paraisse d’origine étrangère, il n’en désigne pas d’une manière moins heureuse dans cette langue la première lettre de l’alphabet. « En effet, dit le président de Brosses, dans son Traité de la formation mécanique des langues, si on fait attention à la figure de l’alef samaritain (qui paraît être la forme primitive de l’alef hébraïque), on y trouvera quelque image grossière d’une tête de bœuf avec ses deux cornes. »

Plutarque dit, dans un autre passage[2], que la première lettre des Égyptiens représentait un ibis. Quelques-uns s’imaginant, on ne sait pourquoi, que cet oiseau était, dans l’alphabet hiéroglyphique, représenté portant le bec à ses jambes, ce qui aurait, en effet, figuré une sorle de triangle, ont voulu y voir l’origine de l’A majuscule, tout en admettant pour le minuscule l’origine phénicienne. D’un autre côté, l’abbé Mallet, dans un article de l’Encyclopédie méthodique, veut que l’A ait existé comme lettre symbolique chez les Égyptiens, où, selon lui, il avait tiré sa forme de la marche tortueuse de l’ihis. M. Champollion le jeune nous apprend bien, dans sa lettre à M. Dacier relative à l’alphabet des hiéroglyphes phonétiques, que « l’épervier, l’ibis et trois autres espèces d’oiseaux s’emploient constamment pour A ; » mais on peut voir aussi que la pose de ces oiseaux ne répond nullement à l’idée qu’on s’en était faite si gratuitement.

Quelques auteurs ont cherché dans la forme de la lettre A la figure de la disposition des organes vocaux dans l’émission de cette lettre. Le HolIandais Van·Helmont s’est imaginé trouver· cette représentation exacte dans la forme de l’alef hébraïque, et l’abbé Moussaud, auteur de l’Alphabet raisonné ou explication de la figure des lettres, prétend la reconnaître dans l’A majuscule latin, opinion qui, du reste, au rapport de Calepin, avait autrefois eu à Rome un certain nombre de partisans.

Les anciens Orientaux attribuant aux lettres quelque chose de mystérieux et de surnaturel, aucune ne dut exercer davantage leur imagination que celle qu’un motif inconnu avait fait placer en tête de toutes les autres. Aussi a-t·elle été l’objet d’étranges et nombreux calculs de la part des rabbins de l’école cabaliste. Un hébraïsant de nos jours, qui a ressuscité une partie de leurs rêveries, Fabre d’Olivet, nous apprend, dans sa Langue hébraïque restituée, que « la lettre A est le signe de la puissance et de la stabilité, qu’elle renferme les idées de l’unité et du principe qui la détermine. — De son côté, Court de Gébelin, dans son Histoire naturelle de la parole, nous dit[3] que « le son A désigne l’état dont on est affecté, ce qui nous est propre, par conséquent ce qu’on possède, ce dont on jouit, de même que la domination et la priorité, » et ailleurs[4] que « l’A fut placé à la tête (de l’alphabet) et comme le plus haut des sons et comme désignant l’homme chef de tont. » Nous ne reproduisons ici ces opinions bizarres que pour donner un exemple des écarts d’imagination auxquels ces matières ont donné lieu.

Chez les Grecs, le son de la lettre A proféré par les prêtres pendant le sacrifice, était regardé comme de funeste présage, parce que c’était par cette lettre, initiale d’άρὰ (malédiction), que commençaient les formules imprécatives.

Nul caractère n’a servi à former un plus grand nombre de diagrammes et d’abréviations. Nous nous contenterons d’indiquer ici les plus remarquables.

L’Alpha, à titre de première lettre de l’alphabet, a quelquefois été employé pour exprimer l’idée de commencement, comme la dernière des lettres, au contraire, l’était pour exprimer l’idée de fin : « Je suis l’Alpha et l’O-

  1. Sympos. ix, quæst. 2, 3 (p. 738 A.)
  2. Ibid., quæst. 3, 2 (p. 738 E.)
  3. 1re part. sect. II, ch. 7.
  4. 2e part. sect. II, ch. 10.