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phe, il dépose les insignes de la royauté (1667). Louis, roi de Hollande, abdiqua une couronne soutenue sur sa tête par la puissance, alors colossale, de l’empereur Napoléon, par la seule raison que son frère ne lui laissait pas le pouvoir de faire le bonheur des Hollandais. [Depuis, on a vu un autre roi de Hollande, Guillaume Ier, renoncer aussi au pouvoir, afin de passer dans le repos de la vie privée les dernières années d’une carrière longtemps agitée par les plus graves événements.] Le roi de Sardaigne, Victor-Emmanuel V, n’aimant pas assez la liberté pour donner une constitution à ses peuples, n’aimant pas assez le pouvoir absolu pour le raffermir par d’arbitraires atrocités, abdique le trône et le livre à son frère (1821).

Ces exemples exceptés, l’abdication n’est que l’avant-scène d’une déposition ; et les princes n’acceptent la première que pour éviter la seconde. La politique et l’histoire devraient renoncer à ces éloges menteurs prodigués à l’abandon d’une puissance qu’on ne peut plus conserver. Le siècle a montré trop à nu le positif de la royauté, pour qu’à l’avenir les hommes se laissent séduire par ce qu’elle avait d’idéal et de merveilleux. Les abdications de Pierre III, de Charles IV, de Ferdinand VII, de Gustave IV, de Victor-Emmanuel V, de Napoléon, de Louis, de Joseph, de Joachim, parlent plus vivement aux yeux que les mensonges des publicistes. Durant vingt ans, le plus obscur citoyen ne pouvait ouvrir sa fenêtre sans voir l’empire, la royauté, la papauté dans la rue ; et le temps ne pourra peut-être replacer ces grands pouvoirs politiques dans la région mystérieuse d’où la révolution française les a fait descendre.

Les publicistes distinguent l’abdication de la résignation, acte par lequel le prince qui abdique investit de la royauté le successeur qu’il désigne. Napoléon, abandonné par la France, dont il avait opprimé la liberté, par des amis ingrats qu’il avait comblés d’honneurs et de richesses, par la fortune, lassée de sa longue prospérité, Napoléon abdique en 1814, et laisse le trône vacant ; il résigne en 1815, et transmet la couronne à son fils. Toutefois la distinction des publicisles n’est pas heureuse : car si l’empire est électif, le prince, par son abdication, rend la souveraineté à la nation dont elle émane, et le successeur règne non par la force de la résignation, mais en vertu d’une élection nouvelle ; si l’empire est héréditaire, le monarque ne peut abdiquer ou résigner qu’en faveur de son successeur légitime, puisque les droits n’appartiennent pas à la personne, mais à la race, et que le prince régnant n’en est que le dépositaire. Toutefois, dans les monarchies héréditaires, l’ordre naturel a été quelquefois interverti ; c’est ainsi que, par son abdication, Alphonse, roi de Léon, appela au trône son frère Ramire, au préjudice de son propre fils Ordogno. Au surplus, ce sont là des questions de force et non de droit, elles se décident par le glaive et non par l’équité ; et les publicistes qui les ont traitées, ou prennent le fait pour le droit, ou décident par des lois civiles ces grands actes politiques. Pour prendre encore Napoléon pour exemple, ce n’est pas sur deux feuilles de papier, c’est dans la retraite de Moscow que se trouve l’abdication de 1814, c’est dans le désastre de Waterloo que fut écrite la résignation de 1815 ; et pour connaître quels devaient être les effets de ces deux renonciations, ce ne sont pas les actes écrits qu’il faut consulter, mais les résultats inévitables de ces deux grandes catastrophes militaires.

Les publicistes n’ont pas oublié les formes possibles et les conditions ordinaires de l’abdication. Ils eussent mieux fait de dire que la forme en est indifférente ; Christine abdique au milieu du sénat ; Dioclétien, devant son armée ; Napoléon, par un acte authentique ; Stanislas, par une lettre particulière ; Jacques II, par sa fuite ; Henri de Valois, en désertant la Pologne. Si l’abdication pouvait être véritablement volontaire, les conditions de cet acte seraient d’un haut intérêt : elles sont ou personnelles ou politiques. Le prince qui descend du trône craint toujours de se trouver seul à seul avec la vertu ; la liberté des citoyens ne lui suffit point ; il ne veut pas lutter par lui-même avec les difficultés de la vie. Ne pouvant plus commander, il ne veut pas obéir, et il s’entoure d’un vain simulacre de grandeur, pour que la vérité ne puisse pénétrer jusqu’à lui et lui reprocher ses fautes ou ses crimes. Il demande, et on lui accorde le titre de majesté, une fortune au-dessus de celle des citoyens et quelques flatteurs subalternes ; c’est dans un nuage d’encens qu’on ensevelit ces idoles brisées. On prétend que, pour être valables, les conditions doivent être approuvées par l’autorité qui reçoit l’abdication ; mais le sénat de Suède viola toutes les promesses qu’il avait faites à Christine, et Charles-Emmanuel, oubliant qu’il devait le jour et le trône à Victor-Amédée II, fit arrêter son vieux père, le laissa languir dans le château de Rivoli, et l’envoya mourir dans les prisons de Moncalicr. Les conditions politiques sont encore moins sacrées ; cela doit être ainsi : l’abdication est une véritable mort politique, et cet acte ressemble aux testaments des rois : on sait comment celui de Louis XIV fut cassé par le parlement de Paris.

Sur toutes ces questions l’erreur des publicistes provient de ce qu’ils ont considéré l’abdication comme un contrat civil, et qu’ils l’ont soumise aux mêmes règles. Ils n’ont pas vu