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Le prince, accoutumé aux abus, dédaigna même souvent jusqu’aux plus simples formalités de la loi, non qu’elles lui parussent dangereuses, mais parce qu’il les croyait indifférentes. Le jugement des Guises eût épouvanté la ligue ; leur mort ne fut considérée que comme un assassinat, et leur parti en fut fortifié, comme celui des protestants par la mort de Coligny.

Cependant le peuple, étranger à ces grandes querelles entre les rois et les nobles, était sans cesse invoqué par les uns et par les autres. C’était à lui que s’adressait le duc de Berry lorsque, l’appelant au secours des gentilshommes armés contre Louis XI, il reprochait, dans ses manifestes, au roi son frère d’avoir des ministres, qui « forçaient les tribunaux à juger non selon la justice, mais selon leurs volontés. » Le peuple sentit que ces reproches étaient fondés, mais il sentit aussi qu’un maître était plus supportable que cent maîtres, et il prêta son appui au roi, qui terrassa et humilia ses ennemis.

Les abus de toute espèce, dont je ne rappelle qu’un petit nombre, devaient un jour frapper la multitude éclairée. Quand le moment fut venu, elle jeta un regard en arrière, et se demanda quel était le sort de l’Europe depuis onze siècles. Elle vit cette belle partie du monde écrasée par l’empire romain, déchirée par les barbares, dévastée par les Normands, en proie à l’anarchie des fiefs, aux malheurs des croisades, aux querelles sanglantes des prêtres, des rois et des orgueilleux patriciens, enfin, opprimée par une foule de despotes subalternes, changeant de maîtres sans changer de sort, et désolée également par la torche du fanatisme et le fer des guerriers ambitieux. Dès lors on a osé parler de lois et de réformes. Le mot de liberté a retenti dans les airs. L’Angleterre la première a déclaré la guerre aux abus, et elle a abusé de ce qu’elle venait de conquérir. L’anarchie et Cromwel, qui lui a succédé, se sont chargés du soin de la punir. Cette leçon devait servir à la France. Une