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pour cela que le poëte Aristophane vouloit[1] que son culte fut banni de toutes les villes bien policées.

Je crois avoir prouvé que tous les peuples de l’Europe adoroient anciennement le Dieu suprême sous le nom de Teut. Avant que de passer plus loin, il faut examiner pourquoi la plûpart des anciens ont pris le Teut des Celtes pour le mercure des grecs, & des romains. J’en trouve deux grandes raisons.

La première est frappante. Les Celtes, qui avoient une demeure fixe, & qui étoient établis dans un pays découvert, où il n’y avoit point de forêts, tenoient leurs assemblées civiles, & religieuses, non dans le lieu même de leur habitation, mais hors du village, près du grand chemin, ou sur quelque colline, s’il y en avoit une dans le voisinage. Je le prouverai lorsque j’aurai occasion de parler des temples, ou plutôt des sanctuaires que les peuples Celtes consacroient à la divinité. Il suffira de remarquer ici qu’Hérodote, rapportant la marche de l’armée de Xerxès, dit[2] que les perses étant arrivés dans le pays des[3] Édoniens, & ayant appris que le lieu où ils étoient campés, s’appelloit les neuf-chemins, y enterrèrent vivans neuf jeunes garçons, & autant de jeunes filles. Cet endroit qu’on appelloit les neuf-chemins, étoit, selon les apparences, un célébre sanctuaire ou les habitans de neuf cantons différens venoient célébrer la fête de Cotys. Ce qu’Hérodote ajoute l’insinue clairement.[4] Jusqu’à ce jour, les thraces ne labourent, ni ne sement le chemin où Xerxès passa avec son armée, mais ils l’ont en grande vénération.

On voit ici le scrupule, ou la marote des peuples Celtes, dont j’ai déjà fait mention. Ils ne vouloient pas qu’on labourât la terre des lieux consacrés, de peur de troubler l’action de la divinité qui y résidoit. C’est pour cette raison qu’ils portoient dans les lieux ou ils avoient accoutumé de tenir leurs assemblées religieuses, un grand nombre de grosses pierres. Ils prenoient cette précaution, non seulement pour avertir les passans qu’il y avoit là un Mallus, un sanctuaire, mais encore pour empêcher que la charrue n’y passât, & qu’une main sacrilége ne remuat une terre qui devoit demeurer inculte, afin que la divinité put y rendre ses oracles.

On trouve encore aujourd’hui en divers endroits de l’Allemagne, & de l’Angleterre, de ces amas de pierres, dont on peut voir la description dans la savante dissertation que M.[5] Keysler a publié sur cette matière. Je ne doute pas qu’on n’en trouve aussi en France. Voici ce qu’en dit le pere de Rostrenen, dans son dictionnaire françois Celtique, au mot de fée.[6] Lieu de fées, ou de sacrifices. C’est ainsi que le Vulgaire appelle certaines pierres élevées, couvertes d’autres pierres plattes, fort communes en Bretagne, & ou ils disent que les payens offroient autrefois des sacrifices. Strabon assure, sur le rapport d’Artemidore, qui avoit été sur les lieux,[7] que l’on voyoit aussi de ces amas de pierres en Espagne ; & s’il faut en croire Quinte Curce,[8] Alexandre le Grand en trouva jusques dans la Scytie.

Les grecs pratiquoient quelque chose de semblable. Ils faisoient sur les[9] colines, & le long des grands[10] chemins, des amas de pierres,

  1. Novos vero deos, & in his (?) colendis nocturnas pervigilationes, sic Aristophanes facetissimus poeta veteris comœdiæ vexat, ut apud cum Sabazius, & quidam alii dii, peregrini judicati, e civitate ejiciantur. Cicero de legib. lib. 2. cap. 37.
  2. Persæ audientes eum locum novem vias edonorum appellari, totidem illic pueros & puellas vivos defonderunt. Herod. 7. cap. 114.
  3. Les Édoniens étoient voisins de la Macédoine, & la célebre ville d’Amphipodes étoit dans leur territoire. Amphipolis antea novem viæ vocabatur, ut Androtion in XII Atticos. Harpocration p. 20. Novem viæ. Æchines in apologia falsæ legationis, locus in Taracia circa Amphipolin. Idem p. 104.
  4. Hanc autem viam, qua Xerxes duxit exercitum, Thraces neque confundunt, neque ferunt, sed ad mea usque tempora magnopere venerantur. Herodot. lib. 7. cap. 125.
  5. Keysler, antiq. selectœ septent, p. 189.
  6. Pag. 402.
  7. Artemidorus sit, ad factum promontorium, cui adjacentem regionem cuneum vocant, nullum monstrari fanum Herculis ibi aram esse, neque ullius deorum. Sed multisports in locus, lapides ternos aut quaternos esse compositos, qui ab en venientibus, ex more à majoribus tradito, convertantur, translatique fingantur. Fas ibi non esse sacrificare, neque nocteum locum adire, quod ferant eum nocturno tempore à dii teneri. Strabo. lib. 3. p. 138.
  8. Lapides crebris intervallis dispositi, arboresque proceræ, quarum stipites hedera contexerat. Curtius lib. 5 cap. 9
  9. Ἤδη ὑπὲρ πoλιος ὅθι θ᾽ Ἕρμαιος λόφος ἐστίν. Jam super urbe ubi tumulus est Mercurii. Homer. Odyss. lib. 16. vs. 471. Mercurius, lapidum congeries, in cacumine montium. Isidor. Glossar. p. 21.
  10. Ερμαῖον Ermaion Acervus lapidum, Mercurio La facer. pidum congeries consecrabant Mercurio in viis incertis. Suidas. Hermas dicunt acervos lapidum qui inviis reperiuntur. Hesych. Phurnutus de Nat. D. p. 57.