guinaire de l’inquisition : en effet, Luther, Calvin & leurs sectateurs n’étoient réellement que des schismatiques, qui, par une inconséquence bizarre & très-difficile à expliquer, rejettoient comme absurdes certains dogmes, & en admettoient d’autres qui ne l’étoient pas moins, & qui d’ailleurs n’étoient pas mieux prouvés. Ils élaguoient plus ou moins les branches de l’arbre, mais ils conservoient religieusement le reste ; au lieu que Campanella coupoit l’arbre au pied. Il parloit de Moïse avec mépris, & quand on n’estime pas cet ancien législateur des Juifs, il est bien rare qu’on respecte celui des chrétiens.
Une autre contradiction de ce moine, c’est qu’après avoir découvert tous les artifices dont le pape se sert pour conserver son autorité, qu’il soutient être une pure invention humaine, il ne laisse pas d’exhorter tous les princes à maintenir de tout leur pouvoir cette autorité, qui est selon lui le plus sûr moyen de réduire tous les autres hommes en servitude.
Ces différentes opinions de Campanella prouvent que l’étude de la philosophie si propre à adoucir les mœurs, à inspirer l’amour de l’humanité, le respect de la justice & des droits des hommes, n’avoit produit en lui aucun de ces bons effets, & lui avoit laissé ce caractère impitoyable & féroce qui a été dans tous les tems celui du prêtre[1], & qui le rend encore si odieux, par-tout où la raison a fait quelques progrès.
Si on croit l’auteur de sa vie, Campanella étoit fort ignorant dans les langues Grecque & Hébraïque, & n’avoit guère lu que les théologiens scholastiques ; il se vante néanmoins d’avoir examiné tous les commentateurs grecs, latins & arabes d’Aristote, pour savoir si leurs principes se trouvoient conformes à ce que l’on voit dans le monde. Il se croyoit fait pour donner à la philosophie une face nouvelle : son esprit hardi & indépendant, ne pouvoit plier sous l’autorité d’Aristote, ni de ses commentateurs. Il voulut donner le ton à son siècle ; & peut-être qu’il en seroit venu à bout, s’il n’eût fallu que de l’esprit & de l’imagination, faculté qui paroît avoir prédominé en lui, & n’avoir laissé à sa raison que des intervalles très-courts[2].
On ne peut nier qu’il n’ait très-bien apperçu les défauts de la philosophie scholastique ; & rien n’étoit plus facile ; il a même entrevu les moyens d’y remédier : mais son peu de jugement & de solidité le rendirent incapable de réussir dans ce grand projet. Ses ouvrages remplis de galimathias, fourmillent d’erreurs, d’absurdités, de contradictions : cependant il faut avouer qu’on y trouve aussi quelques fois des réflexions très-sensées, & on peut lui appliquer ce qu’Horace a dit du poëte Lucilius,
Le livre que ce dominicain a écrit de la monarchie des espagnols, renferme des principes très-conformes à ceux de Machiavel ; tel que celui où il rapporte à la politique toute la religion des princes & des états. D’ailleurs il soupçonnoit tout le monde d’athéisme, sur-tout les savans & les princes d’entre les protestans.
Falleris Scioppi, dit-il, si cogitas Germanis tuis prædicare noum articulum, credo sanctam ecclesiam : nam oportet incipere à credo in Deum, & per philisophiam naturalem, non per auctoritatem. Nemo enim fidem praestat Bibliis, nec alcorano, nec evangelio, neque Luthero, neque papa, nisi quatenus utile est. Credit quidem his plebecula : sed docti & principes omnes fere, politici machiavellista sunt, utentes religione ut arte dominandi. (Campanel. Epistr. ad Scioppium).
On assure qu’il prétendoit connoître la pensée d’une personne, en se mettant dans la même situation qu’elle, & en disposant ses organes à peu-près de la même manière que cette personne les avoit disposés : posse hominem, si similem sibi cum aliquo faciem & cœtera corporis membra esse sibi persuaserit non ingenium tantum illius, sed & animi sensa illico cognoscere. C’est précisément ce que les Mesmériens ou magnétiseurs appellent se mettre en rapport avec quelqu’un. On voit que cette folie qui a passé comme une épidémie, est bien ancienne : elle prouve que pour prendre plaisir à débiter des pensées bizarres, hétéroclites, & à dire des choses extraordinaires, il n’est pas nécessaire de les croire véritables ; mais qu’il suffit d’espérer que le peuple les regardera comme des espèces de miracles & que par leur moyen on passera soi-même pour un prodige.
Il est certain que Campanella étoit fort prévenu en faveur de l’astrologie judiciaire, & qu’il se mêloit de prédire l’avenir par son moyen. On dit même qu’il fit des prédictions qui eurent leur accomplissement ; & rien n’est plus commun que cet esprit de divination qu’on acquiert par l’habitude d’observer ce qui se passe autour de soi. Quel est l’homme, même médiocre & d’une conception ordinaire, à qui il ne soit pas arrivé plus-
- ↑ Lorsqu’on veut exprimer fortement l’insensibilité de quelqu’un, on dit proverbialement qu’il est dur comme un prêtre, ou comme un moine ; ce qui est la même chose, car ces deux êtres ne different que par l’habit.
- ↑ Imaginationis vis judicandi facultatem suppressit, & imprimis eam partem perdidit, qua prudenter studiorum cursus folet regi. Brucker, tom. 4. part. 2,pag.123.