la convenance ou de la disconvenance de deux idées par le moyen d’autres idées intermédiaires.
Or n’ayant d’idées ni de la substance de la matière, ni de la substance de l’esprit, ou d’un être distinct de la matière, il ne peut pas comparer ce dont il n’a point d’idées, ni connoître conséquemment par intuition si la substance de l’une n’est pas la substance de l’autre ; ou bien il faudroit qu’il perçût de la différence où il ne peut pas en percevoir.
Il ne peut pas aussi percevoir de différence entre ces deux substances par le moyen d’une idée intermédiaire, parce qu’une idée intermédiaire ne peut faire découvrir la différence ou la convenance de deux autres qu’autant qu’elle est confrontée à deux autres ; & dans le cas présent il n’y a point & de sauroit y avoir de confrontation pareille, puisque les idées auxquelles elle devroit être comparée, nous manquent. Mettez un denier de cuivre dans une boîte, & une bague d’or dans une autre. Comment un homme qui n’auroit d’idée ni du denier, ni de la bague, pourroit-il, au moyen d’une idée intermédiaire, connoître la différence de l’un à l’autre ? Supposez encore qu’un homme dise à un autre qui n’auroit point d’idées correspondantes à ces mots trois angles d’un triangle & deux angles droits, que les trois angles d’un triangle sont égaux à deux droits ; comment cet homme si peu versé dans la géométrie pourra-t-il connoître cette idée intermédiaire, lorsqu’il n’est pas en état de la comparer aux idées des termes de comparaison qui lui manquent ? D’autres angles ne pourront jamais lui faire appercevoir la convenance de deux choses dont il n’a pas d’idées, & dont conséquemment il ne peut rien affirmer ni rien nier.
On n’a pas manqué d’objecter à M. Clarke cette démonstration évidente de la fausseté de son sentiment. Voici tout ce qu’ill a répondu. Il pretend « que les attributs de Dieu & les propriétés de la matière que nous connoissons, nous fournissent des raisons convaincantes que leurs essences sont entièrement différentes, quoique nous ne sachions pas distinctement en quoi consistent ces essences. Les attributs de Dieu dont nous avons des preuves démonstratives, sont l’aséité, l’éternité, l’infinité, l’intelligence, la liberté, la sagesse, &c. Les propriétés connues de la matière sont de ne point exister par elle même, d’être dépendante, finie, divisible, passive, privée d’intelligence, &c.[1] ». Mais pourrois-je demander à M. Clarke, quelle idée intermédiaire démontre que la substance de la matière n’existe point par elle-même, qu’elle est dépendante, finie, passive, divisible, privée d’intelligence, ou non ? Comment donc M. Clarke peut-il affirmer si dogmatiquement, ce qu’il devroit regarder comme une chose problématique, suivant ses principes ? Il n’y a rien dans la matière qui paroisse dépendant, passif, fini & créé, &c. si ce n’est la solidité & les affections ou qualités de la solidité. Quant à la substance dans laquelle réside la solidité, n’en ayant pas d’idées nous ne sommes pas en droit d’affirmer qu’elle est finie, dépendante, divisible, créée, &c. Ainsi ni M. Clarke, ni aucun de ceux qui disent avec lui que nous ne connoissons point les essences des choses, ou que nous n’en avons point d’idée, ne doivent pas entreprendre de prouver qu’il y a différentes substances dans l’univers, sans risquer de se contredire, en supposant qu’ils connoissent & qu’ils ont une idée des substances & des essences des choses, en même tems qu’ils conviennent qu’ils ne les connoissent pas & qu’ils n’en ont pas d’idée.
Locke, qui parle toujours de la substance comme de quelque chose d’inconnu, & dont nous n’avons d’autre idée, soit qu’on l’applique à la matière ou aux substances supposées immatérielles, qu’une idée purement relative d’un support ou d’un soutien de certaines qualités, peut bien dire que « n’ayant aucune notion de la substance spirituelle, nous ne sommes pas plus autorisés à conclure la non-existence des esprits, qu’à nier par la même raison l’existence des corps : car il est aussi raisonnable d’assurer qu’il n’y a point de corps, parce que nous n’avons aucune idée de la substance de la matière, que de dire qu’il n’y a point d’esprit parce que n’avons aucune idée de la substance d’un esprit[2] ». En effet dans la supposition que nous n’avons point d’idée de la substance, & que pourtant elle est quelque chose de différent de ce que nous appellons ses propriétés, il n’y a ni spinoziste ni matérialiste en état de prouver qu’il n’y ait point d’autre substance dans l’univers que la matière. Mais d’un autre côté il est également impossible de prouver qu’il y ait deux espèces de substances, parce que, comme nous n’avons point d’idée ni de la substance de la matière, ni de celle de l’esprit, nous n’avons aucune raison qui nous convainque que la substance de la matière n’est pas la substance de l’esprit, ou, pour mieux dire, si le sujet de la