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préférence ; & je sens que je ne puis pas m’empêcher de faire le choix que je fais, à moins que je n’aye d’autres motifs qui me déterminent à faire un choix contraire ; & en particulier, dans l’exemple allégué, la considération de ce que je dois à Dieu & à ma patrie, l’amour de la vie, &c. sont quelques uns des motifs qui me déterminent à rester dans ma chambre, plutôt que me jetter par la fenêtre. Dire donc que malgré ces motifs, je pouvois préférer le parti contraire dans les mêmes circonstances, c’est soutenir que je puis préférer ce qui me répugne, & vouloir contre ma volonté. N’est-ce pas-là une contradiction des plus sensibles ? Je sais que la doctrine de la nécessité est communément regardée comme impie & irréligieuse : ce qui me surprend d’autant plus que les prédestinateurs sont en si grand nombre dans toutes les sectes chrétiennes, & que la nécessité se trouve expressément établie dans plusieurs professions de foi. Je ne doute pas que parmi les réformés il n’y ait plus de calvinistes que d’arminiens ; & si dans l’église romaine les jansénistes ne sont pas aussi nombreux que leurs adversaires, leurs écrits montrent qu’ils sont fort au-dessus d’eux par le mérite & la force d’esprit[1]. Si les membres de l’église anglicane penchent vers l’arminianisme, il paroît cependant que les articles de notre croyance approche davantage du calvinisme, & que surement ils n’ont pas été dressés à dessein de prévenir ou d’en exclure le sens que des calvinistes pourroient leur donner. Cela suffit pour faire soupçonner que ceux qui les dressèrent étoient calvinistes dans le cœur, ou du moins qu’ils ne croyoient que le calvinisme conduisît à l’irreligion. Je pourrois nommer plusieurs théologiens de notre église qui enseignent expressément la doctrine de la nécessité ; & il seroit véritablement étrange qu’il n’y eût pas quelques théologiens qui soutinssent ce qui semble si évidemment être la doctrine réelle de l’église. Je me contenterai de nommer le docteur South qui se connoît aussi bien en orthodoxie qu’il est zélé pour elle. Ceux qui ont lu ses savans ouvrages, savent qu’en penser. Lorsqu’il déclare ingenuement ce qu’il regarde comme la doctrine ordinaire de l’église, concernant la trinité, il soumet humblement son opinion au jugement de l’église d’Angleterre[2]. Je puis donc réclamer ici son autorité, comme une preuve suffisante qu’un pauvre laïque peut soutenir la nécessité de tous les événemens, aussi innocemment que le fait un aussi savant & aussi respectable ecclésiastique, sans que M. Clarke soit plus fondé à l’accuser d’irreligion pour avoir admis un principe dont on n’a jamais pensé à faire un crime au docteur South.

« La providence, dit ce savant théologien,[3] ne fait rien au hasard : c’est une flèche qui vole la nuit comme le jour : Dieu est celui qui la lance, & Dieu la dirige vers un but, la nuit comme le jour. Le cours des événemens n’est point dans un état d’incertitude ou d’indifférence. On ne peut pas dire d’aucune chose qu’elle ne doit pas plus arriver que ne point arriver. Tout est réglé d’avance, & tout procède d’une loi déterminée par un décret antécédent… Les péchés des hommes sont dirigés vers une fin ; & le crime atroce par lequel notre sauveur fut attaché sur une croix n’étoit point un événement laissé à la disposition du hasard & de l’incertitude[4]. Il est dit dans les actes des apôtres, qu’il fut livré entre les mains barbares de ses meurtriers par un conseil & une détermination de Dieu[5]. Surement le fils du Très-Haut ne pouvoit pas mourir par un accident fortuit. Le plus grand événement dans l’ordre de la nature & de la grace, ne pouvoit point être un effet du hasard… Ceux qui[6] font dépendre les desseins de Dieu & les résolutions de son intelligence éternelle, des actions de sa créature, qui veulent que Dieu attende ce que la créature voudra & fera pour y adapter ses décrets & ses desseins, oublient que ce grand Être est la première cause de toutes choses, & raisonnent d’une manière aussi peu philosophique qu’absurde & peu conforme à son essence infinie. Son influence est le premier mobile de tout ce qui arrive. Il doit être regardé comme le premier agent. Tout ce qu’il fait, procède d’une volonté déterminée avant l’acte : tout ce qu’il veut, il l’a voulu de toute éternité. Il seroit tout-à-fait contraire aux premières notions que nous avons de la perfection infinie de la nature divine, d’admettre ou de supposer dans Dieu un nouvel acte, une nouvelle détermination. Les stoïciens admirent une fatalité, & un cours inaltérable des choses ; mais ils se trompèrent en ce qu’ils mirent la nécessité des choses dans les choses mêmes, prétendant que Dieu n’’y pouvoit rien changer : en ce sens ils firent de Dieu un être sujet à l’enchaînement fatal des causes ; au lieu qu’ils auroient dû rapporter la nécessité de tous les événemens de ce monde à la libre déter-

  1. Arnault, Pascal, Nicole, &c.
  2. Voyez son livre anglois intitulé : animadversions on D. Sherlock’s vindication of the trinity p. 240.
  3. Voyez le i vol. des sermons du Dr. South, p. 381.
  4. Ibidem, p. 382.
  5. Actes des apôtres, chapitre II, verset 23.
  6. Sermons du Dr. South, vol. i, p. 383, 384, 385.