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priété individuelle ce qui est composé & de tous les mouvemens & de toutes les figures possibles, que fait M. Clarke en prétendant que la pensée est plus générique que le mouvement ? Il en fait une action très-matérielle. En effet la pensée pour devenir plus générique que le mouvement & la figure, doit comprendre tous les modes de l’un & de l’autre, & être ainsi le genre de toutes les espèces de figures & de mouvemens comme la figure & le mouvement comprennent tous les modes de la figure & du mouvement ; & dans ce cas la pensée est une propriété aussi matérielle que la figure & le mouvement. Ou bien M. Clarke emploie le mot générique en un sens dans un endroit, & dans un autre endroit il lui donne un autre sens : ce qui est abuser des termes & de la faculté de raisonner, pour ne rien prouver.

Si dans l’un & l’autre endroit il attache le même sens au mot générique, & qu’il prétende qu’en assurant que la pensée est une propriété plus générique que la figure & le mouvement, il en résulte qu’elle est composée de figure & de mouvement, & non pas de la figure seule, de sorte qu’il a eu raison de dire que la pensée n’étoit pas un mode du mouvement ; je réponds que la pensée étant supposée un mode du mouvement des esprits animaux, la structure & la figure de ces esprits ainsi que des principales parties de l’homme contribuent avec le mouvement à l’acte de la pensée ; car sans l’organisation des sens & des parties principales, il n’y auroit dans l’homme de mouvement ni conséquemment de pensée. L’espèce de mouvement appellée végétation auroit-elle lieu dans un chêne sans la structure & l’organisation des parties de cet arbre ?

Si M. Clarke se sert du terme générique dans un sens trompeur, c’est-à-dire dans un autre sens que celui qu’il a lorsqu’on dit que la figure est plus générique que la rondeur, pour signifier que la pensée contient plus d’idées ou d’espèces de pensées que la figure & le mouvement ne comprennent de modes de la figure & du mouvement, alors tout son raisonnement tombe à faux, & il pourroit substituer au mot générique tout autre terme étranger, sans faire tort & sa prétendue preuve. Que la pensée comprenne, outre les idées de tous les modes de la figure & du mouvement, une infinité d’autres idées, & qu’en ce sens elle soit plus générique que la figure & le mouvement, c’est-à-dire que ses objets soient en plus grand nombre que les sujets du mouvement & de la figure ; qu’est-ce que cela fait à la question présente où il ne s’agit point de la généralité des objets de la pensée, mais de la généralité de la pensée même.

M. Clarke se tire d’affaire du mieux qu’il peut en disant que les idées de la figure & du mouvement sont des modes ou des espèces de pensée. Mais c’est une méprise manifeste ; il confond la faculté avec son objet. Il n’y a point sans doute de pensée sans une idée ou un objet, & il ne peut y avoir d’idée ou d’objet de la pensée sans pensée. Ces choses sont aussi relatives que les idées de père & de fils : elles doivent donc se trouver ensemble. Mais la pensée, lors par exemple qu’elle a la rondeur pour objet, n’est pas plus la pensée, que l’idée du père n’est celle du fils, ou l’idée du fils celle du père.

Que la pensée soit dans l’homme, ce qu’il plaît à M. Clarke, qu’elle soit une qualité d’une substance étendue, composée d’une figure & d’un mouvement & non des figures & des mouvemens de plusieurs parties, indivisible même par la puissance de Dieu, quoiqu’un côté de son étendue soit nécessairement distinct de l’autre côté de cette étendue. Cet être étendu de M. Clarke, qui n’a qu’une figure & qu’un mouvement, ne perçoit-il pas en vertu de cette propriété supposée, les idées des figures & des mouvemens ? Or si une propriété peut percevoir une autre propriété, comme le suppose M. Clarke, je ne vois pas pourquoi les figures ne pourroient pas être les objets d’un mode du mouvement, comme ils sont les objets d’une autre propriété quelconque d’une substance qui ne contient ni modes du mouvement ni modes de la figure.

On est obligé de convenir que toute pensée particulière est un mode de la pensée, & qu’ainsi la pensée a un très-grand nombre de modes. Cependant toutes nos pensées sont finies & limitées. M. Clarke a beau assurer que la pensée de l’homme comprend les idées de tous les modes de la figure & les idées de tous les modes du mouvement ; je mets en fait que la pensée comprend au plus les modes les moins composés du mouvement & de la figure : comme d’ailleurs toutes nos pensées sont finies en nombre, je ne vois pas que leur variété, quelque grande qu’on la suppose, empêche que la pensée ne puisse être un mode du mouvement. Si nous considérons l’étonnante variété des sons qui sont tous des modes distincts du son, il est aussi aisé de concevoir que la pensée, quoiqu’un mode du mouvement, comprenne une si prodigieuse multitude de pensées différentes, que de concevoir que le son ait une variété si surprenante de modifications.

4o. Pour quatrième raison propre à faire voir que la pensée ne peut pas être un mode du mouvement, M. Clarke allègue un passage de l’essai de Locke sur l’entendement humain, & il espère, dit-il que je voudrai bien en reconnoître l’autorité, & m’y soumettre.

Sur quel fondement M. Clarke suppose-t-il que