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est composé de qualités de même espèce : car, selon moi, il est composé de plusieurs parties qui ont une tendance vers la pensée ou le sentiment intérieur, comme la rondeur est composée de parties ou figures qui tendent à la rondeur. Cependant ni la pensée ni la rondeur ne sont composées de qualités de la même espèce dans le sens que suppose sa prétendue démonstration de l’immortalité de l’ame. Elle suppose en effet que dans un corps rond toutes les parties sont aussi rondes que le tout, & que dans un systême de matière doué du sentiment intérieur, chaque partie a un sentiment intérieur de la même espèce que celui du systême total. Et si la rondeur & la pensée ne sont pas composées de propriétés de la même espèce dans ce sens strict, son argument est insoutenable. Il l’est en effet, & tout ce que M. Clarke allègue pour sa défense tourne à son désavantage, & en démontre la fausseté.

La rondeur n’est plus, selon lui, la somme d’une certaine quantité d’autres rondeurs semblables, mais le résultat de plusieurs pièces ou portions de rondeur qu’il nomme qualités de la même espèce que la rondeur parce que ce sont toutes des figures, & que par leur courbure elles ont plus d’affinite avec la rondeur que des lignes droites. N’est-ce pas avouer qu’il peut y avoir, & qu’il y a dans la matière des propriétés qui ne sont point la somme d’autres propriétés de la même espèce numérique ? Et c’est assez pour détruire l’argument de M. Clarke. Car dès-lors qu’il est possible que dans un corps rond, aucune des parties composantes ne soit ronde, il se peut de même que dans un corps doué du sentiment intérieur, aucune partie n’ait un sentiment intérieur individuel. En quoi consiste donc la nouvelle défense de M. Clarke ? À expliquer ces mots propriétés de la même espèce dans un sens différent de celui qu’il leur avoit donné d’abord, & ce sens nouveau réfute pleinement sa prétendue démonstration. Au moyen de cette variation, il se trouve en état de conclure, comme il avoit fait auparavant, que la matière ne peut pas avoir de propriétés qui ne soient la somme d’autres propriétés de la même espèce. Cette conclusion est légitime dans le nouveau sens qu’il adopte. Mais ce sens loin d’être celui de sa démonstration, prouve qu’elle n’est qu’un paralogisme. L’artifice est grossier, & ne peut en imposer qu’aux lecteurs inattentifs ou prévenus.

Voyons à présent comment, après avoir employé vingt pages entières à prouver que la rondeur est composée de qualités de même espèce dans le nouveau sens que je ne conteste pas, il applique cette longue & inutile preuve à la question principale, savoir : « que si le sentiment intérieur réside dans un systême de matière, il doit y être la somme des sentimens intérieurs distincts des parties de ce systême ».


Voici ce que je trouve à ce sujet dans sa troisième défense. « Comme la rondeur individuelle d’un globe n’est pas composée d’un certain nombre de rondeurs semblables à celle du tout, mais pourtant d’une certaine quantité de figures qui sont des portions de rondeur, ou des pièces douées d’un degré numérique d’une courbure ou rondeur déterminée, & qu’elle ne peut pas être formée de lignes droites ni d’autres figures qui ne soient pas des portions de rondeur, ou des pièces douées d’un degré numérique & déterminé de courbure ou de rondeur ; ainsi le sentiment intérieur individuel que je trouve dans moi à ce moment, supposé que le principe pensant soit un systême de matière, n’est pas réellement composé d’une certain nombre de sentimens intérieurs tout-à-fait semblables, mais d’un nombre de qualités qui sont aussi véritablement de l’espèce du sentiment intérieur numérique du tout, que les arcs du cercle sont de l’espèce de la circonférence totale, ou que les portions d’une sphere sont de la même espèce que la sphere entière. C’est-à-dire que le sentiment intérieur du systême entier est composé de sentimens intérieurs, mais qui sont pourtant de vrais sentimens intérieurs, & non des mouvemens ni des figures ni toute autre qualité ; comme la rondeur d’un cercle n’est point composée de lignes droites, ni de couleurs, ni de sons &c., ou comme la surface d’une sphere ne peut être composée que de portions sphériques ».

Cette façon de raisonner, bien appréciée, se réduit à ceci : Quoique la rondeur soit composée de pièces ou portions de rondeur qui peuvent pourtant n’être pas des rondeurs ; cependant, si le sentiment intérieur réside dans un systême de matière, comme la rondeur réside dans le corps, c’est-à-dire qu’il soit composé de parties qui puissent ne point avoir le sentiment intérieur, il doit y avoir autant de sentimens intérieurs distincts que ce systême a de parties. Il valoit autant dire ouvertement que si la pensée réside dans la matière de la même manière que la rondeur, elle y réside néanmoins d’une manière différente ; ou bien que si la pensée inhérente dans un systême de matière, n’y est pas composée des pensées des parties distinctes de ce systême, elle est pourtant composée des pensées de ses parties distinctes.

Voilà le fond de la défense de M. Clarke. Le lecteur peut en juger. Pour moi, je ne dois pas y répondre : premièrement, parce qu’un tel raisonnement se réfute de lui-même ; en second lieu parce qu’après avoir poussé la complaisance pour M. Clarke jusqu’à mettre sous ses yeux sa démonstration dans toute sa force, je ne veux pas lui ôter la satisfaction qu’elle lui procure ; & je suis persuadé qu’elle lui en procure beaucoup. Troisièmement je ne risque rien de n’y pas répondre : elle