stance. Telles sont les couleurs, les sons & en général toutes les qualités sensibles de la matière. Elles n’existent point du tout dans les corps auxquels on les rapporte, mais dans quelque autre substance. Comme on ne peut pas dire que la pensée ne réside point dans le principe estimé pensant, mais dans un autre sujet ; elle ne peut pas être mise au nombre de cette seconde espèce de qualités de la matière, qu’on nomme qualités sensibles. »
» 3. Ou enfin ce sont des qualités telles que l’électricité, l’attraction, le magnétisme, la réflexibilité, la réfrangibilité & autres semblables. Celles-ci n’ont point de sujet réel d’inhérence. Il n’en est pas ainsi de la pensée : elle ne peut donc pas être regardée comme une propriété de la matière, de cette troisième espèce. ».
J’ai d’abord répondu que cette énumération des qualités ou propriétés de la matière étoit incomplette, parce qu’elle ne renfermoit point les modes des propriétés de la première classe ; & que la pensée étant selon moi un mode d’une propriété qui appartenoit à la première classe ; l’argument de M. Clarke n’avoit aucune force pour prouver que la pensée ne pût pas résider dans un sujet matériel ; car il résultoit simplement de sa démonstration, que la pensée n’étoit aucune de qualités de la matière énoncées dans sa distribution : ce qui n’empêchoit pas qu’elle ne pût être une autre qualité ou propriété de la matière, différente des trois espèces qu’il avoit assignées. Supposons, par exemple, que le sentiment intérieur ou la pensée soit dans la matière une qualité ou propriété correspondante à un mode du mouvement ou de la figure, comme pourroit être le mouvement particulier d’une montre ou la rondeur ; n’est-il pas évident qu’en considérant le sentiment intérieur sous cette idée, le raisonnement de M. Clarke ne fait rien du tout à la question ? En effet si le sentiment intérieur est regardé comme la rondeur ou toute autre figure particulière, ou comme un mode du mouvement soit un mouvement animal particulier ou le mouvement d’une montre, il est manifeste premièrement qu’il a un sujet réel d’inhérence, qu’il n’est point un effet sans sujet, & conséquemment qu’il ne ressemble ni à l’électricité, ni au magnétisme, ni à toute autre qualité de cette espèce ; secondement qu’il est réellement inhérent dans le sujet auquel il est attribué, & en conséquence qu’il ne répond ni à la couleur, ni au son, ni à aucune autre qualité sensible qui ne résident point dans le sujet auquel on les attribue ; troisièmement que quoique réellement & proprement inhérent dans la matière, il n’y est pourtant pas comme la figure, la grandeur, & le mouvement. Car la rondeur n’est point la somme des rondeurs des diverses parties du corps rond, puisque peut-être aucune de ses parties, prise séparément, n’est ronde. De même, le mouvement total d’une montre ne réside point de la même manière dans chacune de ses parties distinctes. Je n’ai point osé déterminer de quelle espèce de propriété la pensée étoit le mode ; seulement pour plus de clarté, j’ai pris la liberté de la considerer comme un mode du mouvement. Supposons, suivant la même hypothèse, que le sentiment intérieur soit composé de dix mille mouvemens différens, il est aussi impossible que le sentiment intérieur total réside dans chaque particule du systême matériel, qu’il est impossible que toute la rondeur d’un cercle soit dans chaque partie de ce cercle, ou que tout le mouvement d’une montre ou d’un animal soit dans chacune des parties distinctes de cette montre ou de cet animal. Toute la force de l’argument de M. Clarke consiste donc en ce qu’il prétend que le sentiment intérieur est une idée incompatible avec toute propriété matérielle qui résulte de la division ou composition des parties. C’est tout ce qu’il prouve dans sa lettre à M. Dodwell. C’est pourquoi je pourrois admettre sa démonstration pour bonne, sans croire qu’il a démontré le point essentiel, parce qu’il a raisonné d’après une supposition tout-à-fait gratuite, en se faisant du sentiment intérieur une idée chimérique pour m’obliger à le ranger dans une classe de propriété à laquelle je ne conviens point qu’il appartienne.
M. Clarke prétend avoir prouvé invinciblement que la matière est incapable de penser : pour fortifier & éclaircir sa preuve, il ajoute dans sa troisième défense « qu’il est absolument impossible & évidemment contradictoire qu’aucune qualité réelle soit véritablement & proprement inhérente dans un systême de matière, sans être la somme ou l’agrégat d’un certain nombre de qualités distinctement inhérentes dans les parties de ce systême, & toujours de la même sorte que la qualité totale qui en résulte ».
Je soutiens que la matière peut penser : M. Clarke dit que la matière ne peut pas penser. Il devoit donc en venir à une conclusion ouvertement contradictoire à la mienne, & ne pas s’exprimer d’une manière ambiguë, & telle que je puisse l’admettre sans renoncer à mon sentiment. En effet je conviendrai aisément avec lui que toute qualité inhérente dans un systême de matière doit être, dans un sens, de la même sorte que la qualité totale qui résulte de celles des parties. Dans un corps rond, par exemple, ou de toute autre figure individuelle, les parties doivent avoir une figure de la même espèce que la rondeur, c’est-à-dire une figure qui tende à former la rondeur par leur réunion & leur combinaison en un seul systême. Je suis toujours convenu que dans ce sens, le sentiment intérieur résultoit de qualités ou propriétés de la même sorte, c’est-à-dire de qualités qui tendoient à produire, par leur