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premiers habitans de la Grece servoient les mêmes dieux que plusieurs barbares reconnoissent encore aujourd’hui, le soleil, la terre, les astres, le ciel. Ainsi Epicharmus, qui passe pour avoir été disciple de Pythagore, suivoit, selon les apparences, les anciennes idées, quand il disoit[1] que les vents, le soleil, la terre, l’eau, le feu & les astres, étoient des dieux.

Enfin les sarmates, bien qu’ils fussent un peuple différent des Celtes, étoient parfaitement d’accord avec eux sur cet article[2]. « Ils ne reconnoissent, au rapport de Procope, qu’un seul Dieu, qui lance la foudre, & qui est le maître de l’univers ; ils lui immoloient des bœufs & d’autres victimes, mais ils vénéroient aussi les fleuves, les nymphes, & d’autres divinités subalternes auxquelles ils offroient des sacrifices. Le but de ces sacrifices étoient les divinations », c’est-à-dire, qu’ils cherchoient à connoître l’avenir par le battement du poux, & par les entrailles des victimes.

Il paroît par tout ce détail, que les Celtes rendoient un culte religieux, 1o. à ce que les Philosophes ont appellé les élémens, au feu, à l’eau, à l’air, & à la terre, 2o. à toutes les différentes parties du monde visible, au soleil, à la lune, aux astres, à la voute des cieux, aux arbres, aux forêts, aux fleuves, aux fontaines, aux pierres, aux rochers, 3o. à ce qui résulte de la combinaison, ou du combat des élémens, comme sont les vents, la foudre, les tempêtes. 4o. Enfin il n’y avoit pas jusqu’au vol & au chant d’un oiseau, & au hennissement d’un cheval, qui ne fut pour l’objet d’un respect & d’une frayeur religieuse. Grégoire de Tours l’infirme dans un passage que je viens de citer, & j’aurai occasion de le prouver amplement dans la suite.

Ce n’est pas cependant qu’ils regardassent les êtres visibles, & matériels comme des divinités. Je viens de montrer qu’on les en accusoit ; & on ne peut pas disconvenir qu’ils ne donnassent beaucoup de lieu à l’imputation, puisque leur culte avoit toujours un objet visible. Quelques auteurs assurent même qu’ils avouoient, sans aucun détour, que les élémens étoient de véritables divinités. Ainsi Cassiodore disoit[3] que les perses appellent mages, ceux qui déifient les élémens.

On trouve aussi dans Diogene Laerce un passage de Clitarque, qui porte[4] que les mages raisonnoient beaucoup, tant sur l’essence, que sur l’origine des dieux, & qu’ils étoient dans l’idée que le feu, la terre & l’eau, étoient des dieux, ou que les dieux étoient composés de feu, de terre, & d’eau. Mais il est constant que ces auteurs, & tous ceux qui ont assuré la même chose, se sont trompés. D’un côté la contradiction saute aux yeux. Comment des peuples qui adoroient des dieux spirituels, invisibles, qui ne vouloient pas qu’on représentât les dieux sous forme humaine, auroient-ils pû soutenir, en même tems, que les objets visibles étoient de véritables divinités ? D’un autre côté les Celtes, au lieu de convenir que les élémens & les choses corporelles fussent des dieux, se récrioient contre ceux qui les accusoient de l’enseigner. Rien de plus formel que la déclaration des turcs, que j’ai déjà rapportée ils n’adoroient & n’appeloient Dieu, que celui qui a fait le ciel & la terre.

Les perses s’exprimoient d’une manière qui n’étoit pas moins positive, comme M. de Beausobre l’a prouvé dans histoire du manichéisme,[5] qui malgré les contradictions qu’elle a rencontrées, sera toujours estimée & recherchée par tous ceux qui souhaitent non seulement l’Hérésie de Manés, mais encore de voir clair dans l’histoire de l’ancienne église. Je montrerai aussi, dans la suite de cet article, que tous les peuples Celtes, en général, reconnoissoient un seul Dieu, un Être suprême, & éternel, quoiqu’ils admissent, en même tems, une Théogonie, c’est-à-dire, une production des divinités subalternes qu’ils plaçoient dans les différentes parties du monde visible.

Si les Celtes ne regardoient pas les élémens comme des dieux, ils ne les considéroient pas, non plus, comme de simples images de la divinité. Quelques anciens l’ont crû. Ils ont prétendu que les scythes, les Celtes, & les barbares, en général, adoroient, les uns des arbres, parce qu’ils sont les emblêmes d’une divinité

  1. Epicharmus Deos esse dicit, ventos, solem, terram, aquam, ignem, astra. Menander apud Stobœum, sermo. 228. p. 753.
  2. Unum Deum fulguris effectorem, dominum hujus universi solum agnoscunt, ei que boves, & cujusque generis victimas immolant… Præterea fluvios colunt, & nymphas & alia quædam numina quibus omnibus operantur, & inter sacrificia, conjecturas faciunt divinationum Procop Gotth. lib 3. cap. 14. p. 492.
  3. Magos appellant Persæ, qui elementa deificant. Hist. Trip. lib. 10. cap. 30. p. 363.
  4. Clitarchus afferit, magos de Deorum substantia & ortu sententias proferre, quos & ignem, & terram, & aquam esse arbitrentur. Diog. Laërt. Proem. p. 5 & seq’’.
  5. Histoire du Manich. liv. 2. chap. 1. p. 162. et s. liv. 9. chap. 1. p. 600-609.