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roit pas s’empêcher d’être de mon avis, puisqu’il prétend que toute la matière est composée de parties actuellement séparées & distinctes. Si toutes les parties de la matière sont séparées & distinctes, il n’y a point de contact entre elles, & sans contact point d’impulsion. S’il n’y a point d’impulsion, & que pourtant il y ait du mouvement, il faut que la matière se meuve en vertu de quelques autres propriétés, à moins M. Clarke n’aime mieux dire que tout mouvement est produit par un être immatériel constamment & immédiatement appliqué à chaque particule de matière. Quel que soit le sentiment de M. Clarke, le grand Newton a soupçonné « que plusieurs phénomènes naturels dépendoient de certaines forces qui, par des causes encore inconnues, poussoient les corps les uns vers les autres & les faisoient adhérer ensemble sous des formes régulières, ou bien les détachoient & les faisoient éloigner les uns des autres ; & l’ignorance de ces forces est, selon lui, la cause du peu de progrès des recherches des philosophes sur la nature[1] ».

II. Après avoir répondu directement à la prétendue démonstration de M. Clarke, je vais tâcher de faire voir que si elle prouvoit qu’il fût impossible qu’un être immatériel pensât, parce que M. Clarke n’exclut point l’étendue de l’idée de l’immatérialité. Toute la force de sa démonstration porte sur cette proposition. » La divisibilité & la pensée ne sauroient exister ensemble dans le même sujet. » M. Clarke accorde qu’il y a des particules de matière qu’aucune force naturelle ne sauroit diviser. Et moi j’infère de là que s’il y a des atômes de matière naturellement indivisibles, on ne peut alléguer aucune preuve de leur divisibilité qui ne prouve également la divisibilité de tout être fini étendu, quoiqu’immatériel ; d’où il suit ou que la matière quoique divisible est capable de recevoir la faculté de penser, ou que l’ame, substance immatérielle étendue & conséquemment divisible, est elle-même aussi incapable de penser, que la matière.

M. Clarke répond mal à ce dilemme, en disant « qu’il ne touche point au fond de la question, & que si la preuve qu’il a donnée de l’incapacité de penser, dans la matière, n’est pas démontrée insuffisante, il s’ensuit nécessairement que l’ame doit être une substance indivisible, quoiqu’étendue ».


1o. Quand on ne prouveroit pas aussi évidemment que je l’ai fait, l’insuffisance de l’argument de M. Clarke, il ne s’ensuivroit en aucune manière que l’être fini étendu fût indivisible, car il est de la dernière évidence que Dieu peut diviser l’être fini étendu immatériel, comme l’être étendu matériel (j’en ai donné les preuves dans ma réplique, j’y renvoie le Lecteur) & si d’un autre côté, j’ai la même évidence qu’un être divisible est incapable de penser, comme on le suppose, quel parti reste-t-il à prendre entre ces deux évidences égales, sinon celui du doute, de l’incertitude & du scepticisme ? Pour faire mieux comprendre que l’argument de M. Clarke ne prouve pas davantage contre la matière, que contre l’être immatériel étendu, je vais appliquer à celui-ci la façon de raisonner par laquelle ce savant croit prouver que la matière est incapable de penser.

D’abord, la première raison que donne M. Clarke de l’incapacité de penser qu’il attribue à la matière, c’est que Dieu peut la diviser. Comme je ne vois pas à cet égard de différence entre un être fini étendu & la matière, cette première raison de M. Clarke me semble prouver qu’un être immatériel fini ne sauroit penser. Je dis donc : Tout ce qui peut être divisé par la puissance de Dieu, est incapable de recevoir la faculté de penser ; l’être immatériel étendu peut être divisé par la puissance de Dieu, suppose que toute matière soit divisible, car on ne peut pas prouver la divisibilité d’un atôme matériel, sans prouver la divisibilité des êtres finis étendus quoiqu’immatériels ; donc un être immatériel est incapable de recevoir la faculté de penser. Or s’il est prouvé qu’un être immatériel ne peut pas penser, il s’ensuit que le principe qui pense est & doit être matière. Si pour affoiblir cette preuve, on objectoit que toute substance matérielle est divisible, la réponse de M. Clarke seroit à l’avantage de la substance matérielle contre la substance immatérielle : il pourroit dire que » la difficulté ne touche point le fond de la question, & que si la preuve alléguée de l’incapacité de penser dans l’être immatériel, n’est pas démontrée insuffisante, il s’ensuit nécessairement que l’ame est une substance matérielle indivisible ».

2o. » Mais, ajoute notre docteur, il y a des démonstrations, même dans les Mathématiques abstraites, dont la certitude ne sauroit être révoquée en doute, & qui pourtant sont sujettes à des difficultés insolubles. Telle est, par exemple, la divisibilité de la matière à l’infini ; l’éternité de Dieu, & son immensité sont encore des questions sujettes à des

  1. Suspicor ea omnia (phænomena naturæ) ex viribus pendere posse, quibus corporum particulæ per causas nondum cognitas in se mutuo impelluntur, & secundum figuras regulates cohærent, vel ab invicem fugantur & recedunt : quibus viribus ignoris, philosophi hactenus naturam frustra tentarunt Newtoni Præfacio ad Philosophiæ naturalis Principia mathematica.