étoit dans la rose ; & je dis au contraire que la rose est un système de matière « composé de plusieurs parties, dont chacune, prise séparément, n’a point la faculté de produire cette sensation agréable qu’elles causent lorsqu’elles sont unies ensemble ». Il étoit donc inutile que notre docteur fit un effort de philosophie pour me démontrer la méprise grossière & populaire de ceux qui mettent l’odeur dans les corps qui l’excitent, à moi qui suis du même sentiment que lui sur ce point. Je ne connois personne que lui qui soit plus en état d’instruire les autres, que M. Clarke, & je voudrois, de grand cœur, pour ma propre instruction, qu’il eût choisi un sujet sur lequel nous fussions d’un sentiment différent. Alors, je l’aurois écouté avec docilité & sans prévention : j’aurois vu, sans chagrin, mon opinion détruite ; mieux il l’auroit combattue, plus j’aurois eu de satisfaction à me voir si ingénieusement réfuté, ou même si pleinement convaincu. Mais M. Clarke a-t-il bonne grace à tirer avantage d’une ignorance qu’il me suppose gratuitement ? Et devroit-il, pour montrer avec succès l’étendue de son savoir, feindre que j’ignorois les premiers principes de la physique ?
M. Clarke dit que les propriétés de la rose ne sont autre chose qu’un nombre de mouvemens ou de formes similaires ; proposition qui renferme deux choses à prouver : 1o. que la forme & le mouvement des parties d’une rose produisent seuls ou sont la seule cause externe de la sensation qu’elle occasionne ; 2o. que ces mouvemens & ces formes sont parfaitement similaires.
M. Clarke dit que la pesanteur est l’effet de l’action continue & régulière de quelque autre être sur la matière. Il ne pense donc pas que la matière pese ou gravite en vertu d’une propriété dont Dieu l’a douée dès le commencement, & aux loix de laquelle il la livre à présent. Cependant il n’est pas plus inconcevable que la matière se meuve ou agisse en vertu d’une propriété originelle, qu’il ne l’est qu’elle ait été mise en mouvement par un être immatériel, & qu’elle y persévère.
II. J’ai dit : « Il suffit à un sujet quelconque d’être une substance individuelle pour être capable de recevoir la faculté de penser, soit à titre d’appanage naturel, soit comme un présent de la libéralité de Dieu. M. Clarke le suppose. Il suppose de plus que la matière consiste en une multitude de parties actuellement séparées & distinctes. Il est vrai qu’il la croit aussi divisible, ce qui m’étonne ; car, ce est actuellement divisé en parties séparées & distinctes, n’est plus divisible. Quoi qu’il en soit, tenons-nous-en taux deux premières suppositions qui servent de base à l’argument de cet habile métaphysicien, & voyons si elles ne le meneront pas à une conclusion contraire à celle qu’il en tire. Tout sujet individuel peut avoir la faculté de penser : la matière est composée de parties séparées & distinctes. Or chaque partie de la matière séparée & distincte est un être individuel : car qu’est-ce que l’individualité, sinon ce qui sépare ou distingue un être de tous les autres ? Donc chaque partie de matière peut être un principe pensant, ou avoir un sentiment intérieur individuel. M. Clarke se trouve ainsi forcé par son propre raisonnement, à reconnoître que l’ame qui pense, ou qui a un sentiment intérieur individuel, peut être une substance matérielle ».
Qu’est-ce que l’on répond à cette objection ? On dit » que quand même on supposeroit que chaque particule de matière est un être individuel, c’est-à-dire un atôme indivisible, il ne s’ensuivroit pas que chaque particule matérielle fût capable de penser ; car quoique la divisibilité d’un sujet le rende incapable d’avoir aucune faculté individuelle, il ne s’ensuit pas que tout ce qui est indivisible soit propre à recevoir la faculté de penser ». J’aurois donc eu tort de dire que, suivant M. Clarke, il suffit à un sujet quelconque d’être une substance individuelle pour être capable de recevoir la faculté de penser. Voyons si j’ai mal compris M. Clarke, ou si c’est lui qui se contredit.
1o. Si l’individualité, ou l’indivisibilité est la seule condition requise, suivant le raisonnement de notre docteur, pour qu’un sujet quelconque puisse avoir la faculté de penser, il s’ensuivra certainement que tout ce qui est divisible ne sauroit penser, & de plus que tout ce qui est indivisible peut penser, à moins que M. Clarke, corrigeant son premier argument, n’y ajoute de nouvelles considérations qui prouvent qu’il ne suffit pas à un sujet d’être une substance individuelle pour être propre à recevoir la faculté de penser. Mais jusques-ici, il n’a pas exigé d’autre condition que l’individualité, pour rendre un sujet capable de penser. Car pourquoi, selon lui, la matière ne peut-elle pas penser ? C’est, dit-il, que la faculté de penser est une propriété individuelle, qui ne peut résider que dans un être individuel, & que la matière n’est pas un sujet individuel. Voilà le seul empêchement dont il fasse mention. Quoique la divisibilité, ou le défaut d’individualité rende un sujet incapable de penser, il ne s’ensuit pas en général que tout être indivisible soit, pour cela seul, capable de penser ; cela suit pourtant du raisonnement de M. Clarke, tel qu’il est dans sa lettre à M. Dodwell. Il ne sauroit en disconvenir. Il aura beau interpréter, étendre, & développer son premier argument, il ne m’y fera jamais appercevoir un seul principe qui m’empêche d’en in-