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droit en expliquer la nature & l’essence, & faire voir que cette essence répugne à celle d’une substance composée de parties distinctes. Ce seroit le seul moyen de donner à sa preuve l’évidence qu’elle doit avoir pour entraîner notre assentiment. Car si un autre philosophe entreprenoit de me prouver que le sentiment intérieur ne peut appartenir qu’à un systême de matière, & que pour le démontrer il me dit que le sentiment intérieur est une opération purement organique ; je le prierois de m’expliquer en quoi consiste le sentiment intérieur ou la pensée, afin de me mettre en état de connoître si c’est une opération organique, comme il le prétend, ou s’il se trompe. Tant qu’il me dit seulement que la pensée est une opération organique, mon esprit reste en suspens, la lumière me manque pour juger de la vérité ou de la fausseté de cette assertion, parce que j’ignore en quoi consiste l’essence de la pensée : il suppose que la matière seule pense, mais il ne le prouve pas. Telle est l’insuffisance du raisonnement de M. Clarke. Il se propose de prouver que la matière ne peut pas penser ; & au lieu de le prouver, il le suppose.

Pour démontrer par le seul sentiment intérieur, que la matière ne peut pas penser, M. Clarke ne devoit se contenter de dire que la faculté de penser est une faculté individuelle, c’est-à-dire, une faculté qui ne sauroit résider que dans un être individuel, ou non composé. Il devoit le prouver par l’essence de la pensée : car cette proposition n’est point évidente par elle-même, elle demande à être démontrée. Autrement elle laisse l’esprit dans le doute, sans opérer le moindre degré de conviction.

« La matière est une substance toujours composée de parties actuellement séparées & distinctes ; le sentiment intérieur, ou la pensée, ne peut pas se trouver dans une substance toujours composée de parties actuellement séparées & distinctes : donc le sentiment intérieur ou la pensée ne peut pas se trouver dans la matière : donc la matière ne peut pas penser. ».


Ce raisonnement n’est rien moins que convainquant. On demande la preuve de la seconde proposition, savoir que le sentiment intérieur, ou la pensée, ne peut pas résider dans un sujet composé de parties actuellement séparées & distinctes. Et quelle preuve en donne M. Clarke ? Il dit » que le sentiment intérieur, ou la faculté de penser, est une faculté individuelle, & qu’une faculté individuelle ne sauroit se trouver dans un sujet composé de parties actuellement séparées & distinctes ». Voilà tout : n’est-ce pas-là rester au milieu de sa démonstration, ou plutôt s’arrêter à l’endroit le plus décisif ? Il devoit poursuivre & prouver l’individualité de la faculté de penser, faire voir comment & pourquoi elle ne peut pas résister dans une substance composée de parties, expliquer clairement ce que c’est que la pensée, & tirer de son essence des raisons qui fissent comprendre qu’elle ne peut s’allier en un même sujet, avec la distinction des parties.

Après avoir exposé l’insuffisance du raisonnement de M. Clarke, tel qu’il est dans sa lettre à M. Dodwell que j’avois sous les yeux lorsque je pris la liberté d’y faire quelques objections, lettre dans laquelle ce savant théologien suppose évidemment ce qui en question, je relis sa défense, & je cherche ce qu’il y allègue pour démontrer que la faculté de penser est une propriété qui ne peut appartenir qu’à un sujet individuel. Voici tout ce que je trouve à ce propos :

« Toute qualité ou faculté qui est ou qui peut être inhérente à un systême quelconque de matière, n’est que la somme ou l’aggrégat des qualités ou facultés de la même espèce inhérentes à chaque partie du composé…… de sorte que si la pensée pouvoit être une faculté inhérente à un systême de matière, elle seroit nécessairement la somme ou le résultat des pensées des diverses parties… ce qui est évidemment absurde ».

Quoique cela ne prouve pas que la faculté de penser soit une faculté individuelle au sens de M. Clarke, cependant en supposant que toutes les qualités ou facultés de la matière ne sont que des aggrégats de qualités ou facultés partielles du même genre, il en conclut que le sentiment intérieur, ou la pensée qui, comme il l’a supposé dans son premier argument, n’est point une qualité de cette espèce, mais une faculté individuelle, ne peut appartenir à la matière. Cette façon de raisonner s’appelle accumuler des suppositions, & non assembler des preuves. Il restoit d’abord à prouver que la pensée étoit une qualité qui ne pouvoit pas résider dans une substance composée de parties. M. Clarke s’impose aujourd’hui une nouvelle tâche, savoir de prouver encore que toutes les qualités ou facultés inhérentes à la matière, ne sauroient être autre chose que des sommes ou des agrégats de qualités ou facultés partielles du même genre ; mais il ne remplit ni l’une ni l’autre.

5o. Avant que de passer outre, je vais répondre en peu de mots à deux ou trois petits articles de M. Clarke, qui n’ont pas une connexion essentielle avec la question présente, & qu’il à propos néanmoins de ne pas négliger entièrement.

M. Clarke m’accuse d’avoir dit que l’odeur