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parties du composé contribueront à le former, sans qu’aucune le possède : il ne sera donc pas la somme de plusieurs sentimens intérieurs semblables, mais le produit d’une certain nombre de propriétés d’une autre espèce.

Voilà comme s’évanouissent les difficultés de M. Clarke, fondées sur la divisibilité & la division actuelle de la matière en particules distinctes. On pourra supposer, sans contradiction, dans un tout une faculté qui ne résidera point dans les diverses parties dont il sera composé ; comme il est aisé de concevoir qu’une montre n’est pas la même chose que chacune des pièces qui la forment. La propriété qui résulte de différentes propriétés qui concourent en seul systême n’appartient en propre à aucune partie de ce systême considérée en elle-même ; elle n’est pas non plus de la même espèce que les propriétés singulières de chaque partie isolée, mais elle en est le produit. Je ne suppose point un tout sans parties : je suppose seulement que le tout est différent de ses parties, ce qui est évident. Un particulier dans la société civile n’est qu’un individu considéré en lui-même : il n’est point le corps politique, il contribue à le composer ; le corps politique résulte de la réunion & du concours de plusieurs hommes d’un caractère, d’un génie, & d’un état très-différent. Je ne suppose point aussi un effet sans cause ; puisque les diverses propriétés de chaque partie d’un systême de matière, unies ensemble pour former une seule faculté & concourir ensemble à une seule opération, sont la cause efficiente de la faculté du systême total, faculté qui n’existoit point dans chaque partie considérée séparément.

On peut ainsi concevoir que les différentes parties dont la réunion forme le cerveau avoient avant leur assemblage, la faculté de contribuer à l’acte que nous appellons pensée, quoiqu’elles n’eussent point de pensée ou de sentiment intérieur ; tout comme les parties d’une fleur séparées les unes des autres & déguisées sous une autre forme, n’ont point la faculté de produire en nous cette douce sensation d’odeur qu’elles nous causent lorsqu’elles se trouvent réunies & combinées sous une telle forme.

2o. J’ai supposé jusqu’ici que les différentes parties matérielles d’un même systême avoient des propriétés essentiellement différentes les unes des autres. Je ne tiens[1] point à cette différence, & je conviendrai, si l’on veut, que toute la matière est parfaitement homogène, que chacune de ses parties a les mêmes propriétés que toutes les autres ; qu’en prenant tout le monde matériel ensemble, chaque particule est également propre à entrer dans quelque composé que ce soit, de concourir avec telle autre particule à toutes les facultés actuelles de la matière. Mais si ces facultés actuelles n’existent qu’en vertu de telles combinaisons particulières, & qu’il faille que les parties matérielles du systême où elles résident reçoivent telle disposition par le mouvement, pour que ces facultés puissent s’exercer ; il s’ensuivra également que les facultés du systême total ne sont point la somme de plusieurs facultés partielles semblables, mais qu’elles résultent au contraire de la réunion d’un certain nombre de propriétés d’une autre espèce, parce que, comme chaque partie a la même propriété dans des circonstances semblables, elle a aussi une propriété différente dans une position & une combinaison différentes. J’aime mieux admettre cette homogénéité des élémens de la matière, que de leur supposer des différences spécifiques & essentielles qui fondent des facultés réellement différentes. Nous voyons la matière changer continuellement de forme, & par ce changement un corps devenir tout autre corps. Les mêmes parties matérielles deviennent avec le temps fumier, terre, herbe, bled, bœuf, cheval, homme &c. & elles ont diverses propriétés dans ces systêmes différens.

Une autre vérité de fait, du moins elle me semble telle, c’est que la matière qui dans l’œuf couvé constitue l’embrion, reçoit par l’incubation certaine disposition organique qui la rend capable de sensation, sans qu’elle ait besoin d’une ame immatérielle & immortelle pour sentir. Il me paroît qu’une telle ame n’est pas plus nécessaire au systême matériel pour lui donner la faculté de sentir le froid, le chaud, de voir le rouge, le bleu, le jaune, &c. qu’elle n’est nécessaire aux plantes pour qu’elles exercent la faculté végétative, ou aux corps de ce monde sublunaire pour graviter les uns sur les autres. Les faiseurs de systêmes n’en conviendront pas ; mais ils ont un intérêt qui leur est plus cher que la vérité, celui de faire valoir leurs hypothèses.

  1. Collins a tort d’abandonner cette opinion dont la vérité est démontrée par une multitude d’expériences de chymie, d’où il résulte que l’homogénéité de la matière est une des plus grandes absurdités qu’on puisse avancer en philosophie spéculative. Ce n’est ni aux théologiens, ni même aux métaphysiciens qu’il convient de parler de la matière, c’est aux chymistes ; c’est dans leur laboratoire, qu’on apprend à la connoître ; c’est là qu’on peut s’assurer par soi-même que le mouvement lui est aussi essentiel que l’impénétrabilité, la gravitation, ou toute autre propriété qui la constitue un être tel : en un mot, c’est la qu’on peut pour ainsi dire, toucher par tous ses sens cette hétérogénéité de la matière, que Collins avoit d’abord admise, & laquelle il nous paroît renoncer ici un peu légèrement.