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Au reste l’exposé succinct que nous ferons bientôt de la philosophie de Campanella, mettra les lecteurs en état de décider si l’i'dée générale que nous venons de donner de ses principaux ouvrages est exacte, & si nous avons été trop sévères ou trop indulgens. Achevons présentement de faire connoître ce moine Calabrois, par quelques détails de sa vie, qui le peignent très-ressemblant.

Les disputes publiques qui étoient alors une espèce d’arène où les disciples des différentes écoles descendoient à l’envi pour se combattre réciproquementn, & faire briller la subtilité de leur dialectique, développèrent les forces de Campanella. Il acquit tant de réputation dans ces luttes plus ou moins difficiles, qu’on dit publiquement que l’ame de Télésius avoit passé dans le corps de Campanella. Celui-ci ayant appris ce qu’on pensoit de lui, voulut savoir quel étoit ce Télésius, dont il n’avoit point encore entendu parler. Il sçut que c’étoit un auteur de Cosence qui avoit eu le courage d’écrire contre Aristote ; il rechercha ses livres, les lut avec soin, & entra même dans ses sentimens, sans les adopter néanmoins aveuglément & sans réflexion, comme on peut s’en convaincre par son traité de sensu rerum, où il réfute assez souvent Télénius.

Étant allé demeurer à Altomonte, il profita du loisir qu’il y trouva, pour étudier les ouvrages des anciens philosophes, & même des nouveaux, sur-tout ceux de Télésius, qui lui parurent mériter une attention particulière.

La liberté avec laquelle il secoua le joug du péripatétisme, qui dans les quinzième & seizième siècle étoit la philosophie, on pourroit même dire la religion dominante, lui suscita de facheuses affaires qui l’obligèrent de changer souvent de séjour. On ne sera pas surpris des persécutions qu’il souffrit, quand on saura qu’il osa enseigner dans le sein de l’église romaine la moins éclairée de toutes les communions, & celle qui a les plus ridicules prétentions, que toute nouveauté ne devoit être suspecte, ni dans l’état, ni dans l’église ; qu’on avoit introduit Aristote dans les écoles, au grand préjudice de la religion chrétienne, dans un tems où les ecclésiastiques ne savoient pas même lire ; que Canus avoit très-bien observé que les demi savans de son tems mettoient ce philosophe à la place du Christ, & que ce Stagirite étoit la peste des chrétiens. Il y auroit eu moins d’exagération, & plus de vérité à dire que la raison étoit contraire au christianisme, parce que le christianisme, considéré dans la plupart de ses dogmes, étoit contraire à la raison : mais Campanella n’étoit pas assez avancé pour arriver à ce résultat, & il se vengeoit sur Aristote du tort que le péripatétisme avoit fait, selon lui, à la religion chretienne.

» Il faut cependant avouer, dit à ce sujet un écrivain judicieux, que Campanella poussoit un peu trop loin le mépris qu’il témoignoit avoir pour les anciens. Il étoit trop hardi & trop fier dans ses décisions. Quand on a à combattre des opinions généralement reçues, il ne faut jamais les attaquer de front. C’est le moyen de s’attirer mille ennemis, au lieu de se faire de disciples. Il faut alors proposer ses sentimens comme des doutes, sur lesquels on souhaiteroit être éclairci. On s’insinue par ce moyen insensiblement dans les esprits qui se persuadent d’avoir découvert d’eux-mêmes ce qu’ils n’ont fait qu’apprendre des autres ».

Ce fut peut-être la simple haine que les hauteurs de Campanella lui attirèrent, qui fut cause des accusations atroces qu’on intenta contre lui, & dont les suites furent si funestes. On lui imputa de vouloir établir une nouvelle religion, & se former une espèce[1] d’empire : on ajouta que, voyant qu’il ne pouvoit réussir dans ce dessein que par les armes, il résolut d’introduire les turcs dans une ville du golfe de Tarente, & de les rendre ensuite maîtres du royaume de Naples. Cette accusation étant portée devant le vice-roi, Campanella fut pris & mis en prison, où on lui fit souffrir pendant trente cinq heures les douleurs les plus vives de la plus cruelle question. Enfin il fut condamné à une prison perpétuelle. L’auteur de sa vie croit que, quoiqu’on ne pût convaincre Campanella du crime dont on l’accusoit, il est très-difficile de se persuader qu’il en fut tout-à-fait innocent : & il faut avouer en effet qu’un homme dont la tête étoit aussi mal ordonnée que la sienne, a dû nécessairement dire & faire beaucoup de sottises.

Ce fut en 1599 qu’il fut mis en prison, & il y resta encore vingt-sept ans. Ce qu’il dit lui-même dans la préface de son atheismus triomphatus, paroît incroyable. Il nous apprend qu’il fut appliqué sept fois à la question, & que la dernière dura quatre heures entières. On l’accusa, entre autres choses, d’avoir composé le fameux livre de tribus impostoribus, qu’on trouvoit, dit-il, imprimé trente ans avant qu’il naquit.

Mais il y avoit un autre délit dont Campa-

  1. Gabriel Naudé qui avoit été l’ami intime de Campanella, dit nettement que ce moine eut dessein de se faire roi de la haute Calabre, & qu’il choisit très-à-propos pour compagnon de son entreprise, un frere Denys Pontius qui s’étoit acquis la reputation du plus éloquent & du plus persuasif homme qui fut de son tems. Il avoue même que Campanella eut dessein d’introduire une nouvelle religion dans la haute Calabre, mais qu’il n’en put venir à bout pour n’avoir pas eu la force en main. Considérations politiq. sur les coups d’état, pag. m. 183 – 193.