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le veut ou qu’il lui plaît, penser à une chose ou à une autre, continuer ou suspendre ses réflexions, délibérer, remettre sa délibération à un autre tems ou la prendre : former des résolutions ou bien différer à le faire : changer enfin, à son gré, de sentimens & de volontés, à moins qu’on ne le suppose surpris par quelque accident, tel qu’une attaque d’apoplexie, une létargie, &c. ou qu’il ne survienne tout-à-coup quelque inconvénient ou quelque empêchement auquel il ne puisse résister.

Ne devons-nous point regarder comme une grande perfection dans l’homme, le pouvoir également relatif à ses pensées & à ses actions, de faire ce qu’il veut ou ce qui lui plaît, joint à la faculté d’en faire usage dans tous les cas où son cœur & son esprit peuvent se trouver intéressés ? Est-il possible de concevoir en lui un pouvoir plus étendu & plus avantageux que celui dont il est revêtu, & qui le met à portée de faire ce qu’il veut ou ce qui lui plaît ? Comment imaginer quelque autre sorte de puissance, de liberté, qui pût lui être d’une plus grande utilité ? Si le pouvoir, si la liberté dont il jouit, s’étendoit à tout, il ne seroit plus homme, il seroit égal au Tout-puissant.




Le lecteur est maintenant en état de juger si la dissertation de Collins mérite l’éloge que nous en avons fait ci-dessus, & siVoltaire n’a pas eu raison de dire que de tous les philosophes qui ont écrit hardiment contre la liberté, celui qui, sans contredit, l’a fait avec plus de méthode, de force & de clarté, c’est Collins.

Nous allons présentement voir ce philosophe provoquer au combat le plus célèbre théologien de son tems ; nous allons le voir luttant avec succès contre ce sophiste subtil, énoncer avec cette simplicité qui convient à l’évidence & à la raison, des vérités très-nouvelles à l’époque où il écrivoit, & qui ne sont guère plus communes aujourd’hui ; tant il est difficile à des têtes courbées, depuis des siècles, sous le joug de la superstition, oppressa gravi sub religione, de s’élever à ces grands résultats de la philosophie qui affranchissent l’homme de la crainte puérile des puissances invisibles, & qui le montrent tel qu’il est, portion nécessairement organisée d’une matière éternelle, nécessaire & douée d’une infinité d’attributs ou de propriétés tant connues qu’inconnues (Voyez {{sc|Spinosistes).

De toutes les erreurs que les théologiens ont consacrées & introduites dans la morale, (comme s’il étoit jamais permis d’étayer une vérité par un mensonge,) une des plus graves & des plus enracinées dans l’esprit du vulgaire ignorant & crédule, c’est certainement le dogme absolu de l’immatérialité & de l’immortalité de l’ame. Collins l’a combattu fortement : sa dispute avec Clarke, sur cette matière, le degré d’évidence auquel il a porté l’opinion qu’il a soutenue contre ce théologien qu’on pourroit appeller avec plus de raison que Scot,le docteur subtil ; l’art avec lequel il a sçu circonscrire la question dans ses veritables limites, empêcher son adversaire de divaguer & d’accumuler des difficultés absolument étrangères à l’objet principal de la discussion, &c. prouvent l’extrême netteté de son esprit, l’exactitude de sa dialectique & l’excellence de sa méthode d’investigation. Il faut lire cet ouvrage de Collins ; il faut observer toutes les ruses, tous les moyens dont Clarke, pressé de toutes parts par les arguments de ce philosophe, fait usage pour lui échapper ; il faut comparer la vigueur de l’attaque à la foiblesse de la défense, pour voir avec quelle inégalité, avec quel désavantage l’erreur lutte contre la vérité, & combien la clarté, l’ordre & la précision des idées peuvent applanir des difficultés, simplifier les questions, & abréger les disputes.

Ce qui mérite sur-tout d’être remarqué, c’est qu’en Angleterre même, où les opinions philosophiques d’une certaine hardiesse sont peu goûtées, & où, à quelques exceptions près, ceux que les anglois appellent libres penseurs, ne vont guères, dans leurs discours, ni dans leurs écrits, au delà du déisme qui paroît être pour eux comme la plupart des philosophes de cette isle, l’extrême de la raison humaine ;[1] en Angleterre, dis-je


    & comme il ne peut agir indépendamment de toute idée, son pouvoir se renferme dans la sphère de sa perception. Il en suit toujours quelqu’une, & il ne sauroit suivre celles qu’il n’a pas. L’ame humaine n’est pas maitresse de se dépouiller de toute perception, ni de séparer son action de toute lumière, puisque l’action de l’ame doit avoir essentiellement un objet que lui offrant ses idées ; la lumière des idées éclairant cette action, la dirige & la renferme nécessairement dans de certaines limites »… Essai philosop. sur l’ame des bêtes, par M. Boullier, tom. 2. chap. 12. pag 265. & suivantes… « Je n’ai point prétendu nier ici qu’il n’y ait souvent dans notre ame plusieurs pensées involontaires qu’elle s’efforce inutilement d’écarter. Outre les idées que les sens nous offrent, on sait quelle est quelquefois la tyrannie de l’imagination. On sait qu’il y a des pensées que le hasard nous présente & que notre esprit reçoit à l’improviste par une espèce d’enthousiasme ; & qu’il ne peut comprendre par quelle voie elles lui viennent. Voyez là-dessus Wollaston.

  1. J’observerai à cette occasion que l’Angleterre est peut-être le pays de l’Europe où l’on imprime, & par conséquent où l’on vend le plus de catéchismes, de sermons, de défenses du christianisme, & en général de livres de dévotion. On ne lit point les papiers publics de Londres, sans y trouver l’annonce d’une