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sont habitées, dit Burton, « C’est ce qu’il a de sûr ; mais par quelle espèce de créatures, c’est ce qu’il ne peut dire : mais il se donne beaucoup de peine pour prouver qu’elles le sont, & qu’il y a un nombre infini de modes ».

Un des principaux ouvrages de notre dominicain, est son atheismus triomphatus. On prétend que Campanella, feignant de combattre les athées dans cet écrit, les a favorisés en leur prêtant des arguments auxquels ils n’ont jamais pensé, & en y répondant très foiblement. Sorbiere parle très-désavantageusement de ce livre, & déclare que la seule chose qu’il ait apprise, c’est de ne lire jamais d’autre ouvrage du même auteur, à moins qu’il ne veuille perdre son tems. Pour moi, il me semble que Campanella est bien plus près du fanatisme & de l’enthousiasme que de l’athéisme ; j’ajouterai même qu’il n’avoit assez d’étoffe pour être athée. Car il ne faut pas croire que tout le monde puisse se mettre au niveau de cette opinion ; c’est, au contraire, celle d’un très-petit nombre d’hommes ; au lieu que la superstition étant à la portée de tous les esprits, doit par cela même être très commune. En effet, pour avoir ce qu’on appelle de la religion, il ne faut ni instruction, ni lumières, ni raisonnement ; il suffit d’être paresseux, ignorant & crédule ; & tous les hommes le sont plus ou moins : mais pour être athée, comme Hobbes, Spinoza, Balle, Dumarsais, Helvétius, Diderot & quelques autres, il faut avoir beaucoup observé, beaucoup réfléchi ; il faut joindre, à des connoissances très-étendues dans plusieurs sciences difficiles, une certaine force de tête qui n’est, au fond, comme je l’ai prouvé ailleurs[1], que celle de tout le systême organique. Or, de ces différens moyens également utiles, les uns sont des dons de la nature qu’elle ne prodigue pas ; les autres ne s’acquièrent qu’avec le tems, & par un travail opiniâtre dont la plupart des hommes sont absolument incapables ; ceux-ci, par la foiblesse de leur constitution, ceux-là, pour n’avoir pas contracté de bonne heure l’habitude de l’application. Il doit donc nécessairement y avoir très-peu d’athées, & une multitude innombrable de bons croyans ou de superstitieux  : non pas, comme les prêtres le répétent sans cesse, parce que l’athéisme est contraire à la raison & que celle-ci, tranquillement consultée, conduit l’homme à la religion ; mais seulement parce qu’il est plus commode de croire sur parole que de juger d’après un mûr & sévère examen ; & sur-tout, parce que le royaume des cieux n’est réservé qu’aux pauvres d’esprit,[2] ainsi qu’on le leur a autrefois promis, il sera nécessairement très-peuplé.

Il est aussi absurde de multiplier le nombre des athées, comme l’a fait le pere Mersenne dans son commentaire sur la genese[3], que d’en nier absolument l’existence, à l’exemple de quelques théologiens assez ignorans ou assez vains pour croire que tout ce qui leur paroît vrai & démontré, doit être tel pour tout le monde : tandis que, selon l’observation judicieuse de Charron, » c’est un abus de penser trouver aucune raison suffisante & démonstrative assez pour prouver & éstablir évidemment & nécessairement que c’est que déité : de quoi l’on ne se doit pas esbahir ; mais il faudroit s’esbahir s’il s’en trouvoit. Car il ne faut pas que les prinses humaines, ny que la portée des creatures puisse aller jusqu’à la… Déité, c’est ce qui ne se peut cognoïtre, ni seulement s’appercevoir : du fini à l’infini n’y a aucune proportion, nul passage : l’infinité est du tout inaccessible, voire imperc. Dieu est la même, vraye & seule infinité. Le plus haut esprit & le plus haut effort d’imagination n’en approche pas plus près que la plus basse & infinie conception. Le plus grand philosophe & le plus sçavant théologien ne cognoist pas plus ou mieux Dieu que le moindre artisan. Où il n’y a point d’avenue, de chemin, d’abord, ne peut y avoir de loin ni de près… Dieu, déité, éternité, toute-puissance, infinité, ce ne sont que mots prononcez en l’air, & rien plus à nous : ce ne sont pas choses maniables à l’entendement humain… Si tout ce que nous disons & proférons sz Dieu étoit jugé à la rigueur, ce ne seroit que vanité & ignorance, &c, &c. (Charron, des trois vérités, liv. I. chap. 5.)

On a prétendu que Campanella auroit pu intituler son athéisme mené en triomphe (atheismus triomphatus, ) l’athéisme triomphant ; & il paroît que c’étoit l’opinion du pere Mersenne, puis-

  1. Voyez l’adresse à l’Assemblée nationale sur la liberté des opinions, quel qu’en soit l’objet, sur celle du culte & sur celle de la presse ; depuis la page 105. jusqu’à la page 109.
  2. Beati pauperes spiritu : quoniam ipsorum est regnum cœlorum. S. match. Evangil. cap. 5. verset 3.
  3. Il en comptoit au moins cinquante mille dans Paris, à l’époque où il a publié son livre.

    At non est, dit-il, quod totam galliam percurremus, nisi siquidem non semel dictum fuit, unicam lutetiam 50. Saltem atheorum millibus onustam esse, quœ si luto plurimum, multo magis atheismo fœteat, adeo ut in unica domo possis aliquando reperire 12, qui hanc impietatem vomant.

    Notez que ce passage, ainsi que beaucoup d’autres, a été retranché du commentaire du pere Mersenne sur la genese, livre dont il existe même très peu d’exemplaires complets.