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trouve réuni dans cette doctrine) il ne se comprend que lui-même ; il n’a aucune relation avec les choses extérieures, & par conséquent point de providence.

Voilà les fruits de la philosophie d’Aristote, en partie, il est vrai, mal entendue, & en partie non corrigée ; car Aristote ayant enseigné que toutes choses partoient de la matière, Césalpin en conclut qu’il n’y avoit qu’une substance spirituelle ; & comme il voyoit qu’il y avoit plusieurs corps animés, il prétendit que c’étoit une partie de cette ame qui animoit chaque corps en particulier. Il se servoit de cet axiome d’Aristot, quod in se optimum, id se ipsum intelligere, pour nier la providence.

Dans la physique, il est encore rempli d’erreurs.

Selon lui, il n’y a aucune différence entre la modification & la substance : & ce qu’il y a de singulier, il veut qu’on définisse la matière & les différens accidens & les qualités qui les affectent. Il est sans doute dans tout cela plein de contradictions : mais on ne sauroit lui refuser d’avoir défendu quelques-unes de ses propositions avec beaucoup de subtilité & fort ingénieusement.

On ne sauroit trop déplorer qu’un tel génie se toit occupé toute sa vie à des choses si inutiles. S’il avoit entrevu le vrai, quels progrès n’auroit-il point fait ? Presque tous les savans, comme j’ai déjà remarqué, reprochent le spinosisme à Césalpin : il faut pourtant avouer qu’il y a quelques différences essentielles entre lui & ce célèbre impie. La substance unique dans les principes de Césalpin, ne regardoit que l’ame ; & dans les principes de Spinosa, elle comprend aussi la matière : mais qu’importe, l’opinion de Césalpin ne détruit pas moins la nature de Dieu que celle de Spinosa. Selon Césalpin, Dieu est la substance du monde. Il considéroit Dieu par rapport au monde, comme une poule qui couve des œufs. Il n’y a pas plus d’action du côté de Dieu pour faire aller le monde, qu’il y en a du côté de cette poule pour faire éclore ces œufs. Comme il est impossible, dit-il, ailleurs, qu’une puissance soit sans sujet, aussi est-il impossible de trouver un esprit sans corps. Il est rempli de pareilles assertions qu’il seroit superflu de rapporter.

Crémonin fut un impie dans le goût de Césalpin ; leur impiété était formée sur le même modèle, c’est-à-dire, sur Aristote. Ces espèces de philosophes ne pouvoient pas s’imaginer qu’il fût possible qu’Aristote se fût trompé en quelque chose ; tout ce que le philosophe, leur maître, avoit prononcé, leur paroissoit irréfragable : voilà pourquoi tous ceux qui faisoient profession de le suivre à la rigueur, nioient l’immortalité de l’ame & la providence ; ils ne croyoient pas devoir profiter des lumières que la religion chrétienne avoit répandues sur ces deux points. Aristote ne l’avoit point pensé ; pouvoit-on mieux penser après lui ?

S’ils avoient un peu réfléchi sur leur conduite, ils se seroient apperçus qu’Aristote n’étoit pas leur maître, mais leur Dieu ; car il n’est pas d’un homme de découvrir tout ce qu’on peut savoir, & de ne se tromper jamais. Avec une telle vénération pour Aristote, on doit s’imaginer aisément avec quelle fureur ils dévoroient ses ouvrages.

Crémonin a été un de ceux qui les ont le mieux entendus. Il se fit une grande réputation qui lui attira l’amitié & l’estime des Princes ; voilà ce que je ne comprends pas : car cette espèce de philosophie n’avoit rien d’attrayant. Je ne serois pas surpris si les philosophes de ce temps-là avoient été tous renvoyés dans leur école ; car je sens qu’ils devoient être fort ennuyeux : mais qu’aujourd’hui ce qu’on appelle un grand philosophe ne soit pas bien accueilli chez les rois, qu’ils n’en fassent pas leur ami, voilà ce qui me surprend ; car qui dit un grand philosophe aujourd’hui, dit un homme rempli d’une infinité de connoissances utiles & agréables, un homme dont toutes les vues sont grandes. On nous dira que ces philosophes n’entendent rien à la politique : ne sait-on point que le train des affaires est une espèce de routine, & qu’il faut nécessairement y être entré pour les entendre ? Mais croit-on qu’un homme, qui par ses ouvrages, est reconnu pour avoir un génie vaste & étendu, pour avoir une pénétration surprenante ; croit-on, dis-je, qu’un tel homme ne seroit pas un grand ministre si on l’emplovoit ? Un grand esprit est toujours actif & se porte toujours vers quelque objet. Il feroit donc quelque chose ; nous verrions certains systêmes redressés, certaines coutumes abolies, parce qu’elles sont mauvaises ; on verroit de nouvelles idées éclore & rendre meilleure la condition des citoyens ; la société, en un mot, se perfectionneroit, comme la philosophie se perfectionne tous les jours.

Dans certains états, on est aujourd’hui, eut égard au systême du bien général de la société, comme étaient ces philosophes dont je parle, par rapport aux idées d’Aristote ; il faut espèrer que la nature donnera à la société ce qu’elle a déja donné à la philosophie ; la société aura son Descartes qui renversera une infinité de préjugés, & fera rire nos derniers neveux de toutes les sottises que nous avons adoptées.

Pour revenir à Crémonin, le fond de son systême est le même que celui de Césalpin. Tous ces philosophes étoient incrédules, parce qu’il ne faut avoir que des yeux pour voir que ce qu’ils soutenoient étoit contraire aux dogmes du chris-