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Pour revenir à Alexandre Piccolomini, il fit, avec de tels maîtres, des progrès extraordinaires.

Je crois que ce qu’on dit de lui, tient un peu de l’exagération, & que la flatterie y a eu un peu de part : il est pourtant vrai qu’il fut un des plus habiles hommes de son temps : la douceur de ses moeurs, & son urbanité, dignes du temps d’Auguste, lui firent autant d’amis, que son savoir avoit attiré d’admirateurs.

Il n’eut pas seulement le mérite philosophique, on lui trouva le mérite épiscopal ; il fut élevé à cette dignité, & fut ensuite fait coadjuteur de l’archevêque de Sienne. Il vieillit estimé & respecté de tout le monde. Il mourut en 1578, regretté de tous les savans & de tous ses diocésains, dont il avoit été le père.

On ne sauroit comprendre l’amour qu’il avoit pour les ouvrages d’Aristote ; il les lisoit nuit & jour, & trouvoit toujours un nouveau plaisir. On a raison de dire qu’il faut que la passion & le préjugé s’en mêlassent : car il est certain que dans quelques ouvrages d’Aristote, les plaisirs qu’un homme d’esprit peut goûter, sont bientôt épuisés. Alexandre Piccolomini a été le premier qui ait écrit sur la philosophie en langue vulgaire : cela lui attira les reproches de plusieurs favans, qui crurent la PhiIosophie d’Aristote profanée. A peine ces superstitieux osoient-ils l’ecrire en latin ; à les entendre, le grec seul étoit digne de renfermer de si grandes beautés. Que diroient-ils aujourd’hui s’ils revenaient ? Notre Philosophie les surprendoit bien ; ils verroient que les plus petits écoliers se moquent des opinions qu’ils ont tant respectées.

Comment se peut-il faire que les hommes, qui aiment naturellement l’indépendance aient fléchi le genou si long-temps devant Aristote ? C’est un problême mériteroit la plume d’un homme d’esprit pour le résoudre : cela me surprend d’autant plus, qu’on écrivoit déjà contre la religion. La révélation gênoit ; on ne vouloit pas captiver son esprit sous les prophètes, sous les évangélistes, sous saint Paul, dont les épîtres peu philosophiques, sont d’ailleurs presque inintelligibles. Je ne suis pas surpris de voir aujourd’hui des incrédules : Descartes a appris à n’admettre rien qui ne soit prouvé très-clairement. Ce philosophe qui connoissoit le prix de la soumission, la refusa à tous les philosophes anciens. L’intérêt ne le guidoit pas ; car, par ses principes, on a cru ne devoir le ruivre que lorrque ses rairons étoient bonnes. Je conçois comment on a étendu cet examen à toutes choses, même jurqu’à la religion : mais que dans un temps ou tout en philorophie re jugeoit par autorité, on examinât la religion, voilà ce qui est extraordinaire.

François Piccolomini fut encore un de ceux qui firent honneur à la philosophie péripatéticienne. Il semble que son esprit vouloit sortir des entraves où il étoit.

L’autorité d’Aristote ne lui suffisoit pas : il osa aussi penser comme Platon ; ce qui lui attira sur le bras le fougueux Zabarella. Leur dispute fut singulière ; ce n’étoit point sur les principes de la morale qu’ils disputoient, mais sur la façon de la traiter.

Piccolomini vouloit qu’on la traitât synthétiquement ; c’est-à-dire, qu’on partît des principes pour arriver aux conclusions. Zabarella disoit qu’à la vérité dans l’ordre de la nature on procédoit ainsi, mais qu’il n’en étoit pas de même de nos connoissances ; qu’il falloit commencer par les effets pour arriver aux causes ; & il s’attachoit sur-tout à prouver qu’Aristote avoit pensé ainsi ; croyant bien avoir terminé les disputes s’il venoit à bout de le démontrer : mais il se trompoit. Lorsque Piccolomini étoit battu par Aristote, il se réfugioit chez Platon. Zabarella ne daignoit pas même l’y attaquer ; il auroit cru manquer au respect dû à son maître, en lui donnant un rival.

Piccolomini voulut accorder ces deux philesophes ensemble, il croyoit que leurs principes étoient les mêmes, & que par conséquent ils devoient s’accorder dans les conclusions. Les zélateurs d’Aristote improuvèrent cette conduite ; ils vouloient que leur maître fût le seul de l’antiquité qui eût bien pensé.

Il mourut âgé de quatre-vingt-quatre ans. Les larmes qui furent versées à sa sépulture, sont l’oraison funèbre la plus éloquente qu’on puisse faire de lui ; car les hommes n’en aiment pas un autre précisément pour ses talens ; si le cœur lui manque, ils se bornent à estimer l’esprit. François Piccolomini mérita l’estime & l’amitié de tous ses concitoyens. Nous avons de lui un commentaire sur les livres d’Aristote qui traitent du ciel, & sur ceux qui traitent de l’origine & de la mort de l’ame ; un systême de philosophie naturelle & morale, qui parut sous ce titre : la science parfaite & philosophique de toute la nature, distribuée en cinq parties.

Les grands étudioient alors la philosophie. quoiqu elle ne fût pas, à beaucoup près, si agréable qu’aujourd’hui. Cyriaque Strozzi fut du nombre : il étoit de l’illustre maison de ce nom chez les Florentins. Après une éducation digne de sa haute naissance, il crut nécessaire pour sa perfection, de voyager dans les différentes parties de l’Europe. Il ne le fit point en homme qui voyage précisément pour s’amuser. Toute l’Europe de-