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Mais pendant les revers qu’éprouvoit la doctrine de ce philosophe, il se trouva à Paris les trois plus grands théologiens de ce temps-là, qui commencèrent à l’honorer de leur travail & de leurs commentaires, Alexandre d’Alès, Albert le Grand, & saint Thomas, son disciple. Saint Jean Damascène leur avoir le premier ouvert le chemin qu’ils prirent ; car ayant fait un abrégé fort exact de la logique & de la morale d’Aristote, il se servit de cet abrégé pour mettre en ordre ses quatre livres de la foi orthodoxe.

Ce fut sur ce plan & sur ce modèle que près de quatre cens ans après saint Damacène, Pierre Lombard arrangea les opinions des pères sur la théologie, dans son livre des Sentences, ouvrage que saint Thomas a perfectionné en se servant de cet original, dont saint Damascène & le maître des Sentences avoient pris le premier plan dans Aristote. Mais faint Thomas entreprit de suivre leurs traces, sans s’attacher à leur méthode : car il prit une matière qui lui fut particulière, par laquelle il s’érigea en premier fondateur de cette scholastique qui a été depuis si fort en vogue, & qu’il avoir prise vraisemblablement des arabes. Je ne prétends. pas qu’on m’en croie sur ma parole ; c’est une pensée que je soumets au jugement des sçavans, comme une conjecture sur laquelle je puis me tromper.

Je dis donc, que quand saint Thomas vint au monde, il y avoit près de quatre cens ans que les arabes qui étoient les seuls sçavans, étudioient la Philosophie : au lieu qu’il n’y avoit pas cent ans que l’amour des lettres commençoit à se réveiller dans l’Europe.

Ces peuples de qui l’empire a été plus grand que celui des romains, du moins par l’étendue de leurs conquêtes, qui fut depuis les Indes jusques en Espagne, imprimèrent leur génie & leurs manières, non seulement à leurs sujets, mais encore à tous les peuples qui eurent quelque commerce avec eux ; c’est-à-dire, à toute l’Europe : & comme leur étude se borna à leur religion, aux Mathématiques, & à la Philosophie, & qu’ils ne connurent point l’éloquence, & les beaux-arts, parce que la peinture & la sculpture leur étoient défendues par leur loi : il ne faut pas s’étonner, si par les contemplations oisives de leur esprit naturellement réfléchi, ils devinrent si spéculatifs, & si métaphysiciens ; & s’ils rafinèrent enfin si fort sur la Logique & sur la Physique, qui furent l’objet de leurs études les plus chéries & celles qu’Ils cultivèrent le plus.

Ainsi comme ils étoient en possession d’étudier & d’interpréter Aristote, depuis plus de trois cens ans, ils rendirent cette étude & leurs commentateurs nécessaires aux chrétiens, qui voulurent étudier en Occident, quand les lettres s’y rétablirent, vers la fin du douzième siècle & au tems que les tartares prirent Bagdad.

Les arabes qui étoient les seuls fçavans de ce tems-là, & qui s’étoient acquis une grande autorité dans les lettres, avaient établi dans l’école leur manière d’enfeignes. Saint Thomas n’en trouvant point d’autre, la prit : & depuis elle fut fuivie par les scholaftiques. Ainfi .ces termes barbares dont se font fervis depuis nos philosophes sans scrupule, furent pris d’Avicenne & des autres arabes, à qui ces exprestions étoient sans doute naturelles & familières ; & ces termes, de bon arabe, qu’ils étoient peut-être, devinrent par la traduition un fort mauvais latin.

Ce fut sans doute de cette forte que la Philosophie se gâta par le commerce de ces peuples qui étoient maîtres. Il est même à croire que quand faint Thomas auroit connu quelqu’autre méthode de traiter la Philosophie, il auroit eu raison de fuivre celle qu’il avoit prife des arabes, pour confondre leur orgueil, & leur faire voir qu’on pouvoir aifement défendre la religion catholique contre leurs calomnies, en prenant leur ma--- fière d’enfeigner,, & en fuivant leur Aristote auquel ils s’attachoient si fort. II en probable_ allai que ce mauvais goût des arabes, qui avoient peu de connoilfance des belles lettres, s’établit dans les écoles d’Europe : comme le mauvais goût des goths, s’y établit dans l’archite&ure & dans les autres arts.

Il faut aussi remarquer que ces peuples s’attachèrent à la Philosophie d’Aristote, plutôt qu’a : celle de Platon, parce qu’ils trouvèrent 12 doctrine d’Aristote plus établie que celle de Platon chez les grecs, de qui ils reçurent les sciences, comme il paroit par faint Jean Damascène ., le premier des philosophes chrétiens, qui avoir été fous la domination des mufulmans : outre que le génie des arabes contribua beaucoup à leur faire préférer Aristote à Platon, l’éloquence impofante de celui-ci, qu’ils ne goûtoient oint, les toucha moins que le flyle concis, & la manière fonde du raisonnement de l’autre. Ce font des conjeâures ; & si j’ea étois fort entêté je pourrois peut-être les faire valoir par l’autorité’de faint Thomas, & de tous les philoforlies lei plus judicieux, qri se font plaint que les ara= bes avoient gâté la Philosophie.

En effet, c’en par eux qu’Aristote a été connu. en Europe, & que ses ouvrages y ont été apportés ; mais on peut dire que leurs mains ne furent pas afîez pures pour nous tranfmettre ce A.épirt tel qu’ils lra.voient reçu, parce que ces peuples no fçavoient pas bien le grec.

Mais je reviens à l’histoire & à la destinée d’Aristote dans l’université de Paris.