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DISCOURS

découvertes sont fort antérieures au petit systême de M. Dutens, & qu’il n’a vu toutes ces merveilles dans Leucippe, Epicure, Démocrite, Empedocle, Anaxagore, Pline, Aristote & Platon, que depuis que le génie des modernes a levé le voile qui les lui cachoit. Il n’a point voulu compromettre sa sagacité ; pour être plus sûr de ne pas se tromper, il a fait comme ces espèces de foux qu’on appelle Prophetes ; il a prédit après l’évènement, & n’a précisément trouvé dans les anciens, que ce que les modernes avoient découvert à l’époque où il a publié son livre ; ce qui ne donne pas, à la vérité, une grande idée de son habileté, mais ce qui prouve au moins sa prudence. Cependant comme il ne peut pas raisonnablement supposer que les Géomètres, les Physiciens, les Naturalistes & les Philosophes, qui depuis la renaissance des lettres jusqu’en[1] 1776, ont ajouté successivement à nos connoissances sur les divers objets de leurs spéculations, n’aient rien laissé aux anciens dont la postérité puisse profiter, je le défie de faire dans les sciences ou dans les arts une seule découverte avec le secours de leurs ouvrages, d’y entrevoir même avec toute sa pénétration quelques unes de celles que les modernes doivent faire un jour, & d’indiquer dans ces sources antiques qu’il trouve si fécondes, la pensée, ou le simple apperçu qui doit désormais édairer la route des modernes, & les aider à reculer le terme où les anciens ont laissé l’explication des phénomènes, & la théorie des loix de la nature.

M. Dutens confond par-tout ce qu’il falloit séparer ; il établit un rapport entre des quantités qui n’ont aucune mesure commune ; il met sur la même ligne les opinions bizarres, hasardées des anciens, & des résultats auxquels les modernes n’ont pu être conduits que par des efforts de tête prodigieux, & après des tentatives long-tems inutiles ; il ignore l’intervalle immense qui sépare une conjecture plus ou moins heureuse, une hypothèse, d’un fait démontré par une analyse savante, ou par une suite d’observations exactes ; il n’a pas vu sur-tout, que, même dans la supposition la plus favorable aux anciens, & en leur accordant tout ce qu’il réclame en leur faveur, les modernes ne perdroient pas encore leurs justes droits au titre d’inventeurs, puisqu’il est certain que par rapport à l’effort d’esprit & au travail, il n’est pas impossible, comme l’a très-bien remarqué un écrivain célèbre, qu’une même chose soit inventée par deux personnes, sans que l’une soit en rien aidée de l’autre. C’est un fait dont l’histoire des sciences & des arts offre plusieurs exemples, & dont je ne citerai ici que cette seule preuve qui me dispensera de beaucoup d’autres. Le célèbre Jacques Bernoulli, après-avoir établi une certaine égalité entre les arcs & les espaces correspondans de la spirale d’Archimède, & d’une parabole construite suivant une loi qu’il indique, ajoute ces paroles remarquables. Quam miram parabolœ & spiralis convenientium, post modum apud Wallistium deprehendibus, quì de ejus detectione Hobbium &

  1. C’est la date de l’impression du livre de M. Dutens.
Robervallium