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dre ce que c’étoit que les acousmatiques, il faut savoir que les disciples de Pythagore étoient distribués en deux classes séparées dans son école par un voile ; ceux de la première classe, de la classe la plus avancée, qui ayant pardevers eux cinq ans de silence passés sans avoir vu leur maître en chaire, car il avoit toujours été séparé d’eux pendant tout ce temps par un voile, étoient enfin admis dans l’espèce de sanctuaire, d’où il s’étoit seulement fait entendre, & le voyoient face à face ; on les appelloit les ésotériques. Les autres qui restoient derrière le voile, & qui ne s’étoient pas encore tûs assez long-temps pour mériter d’approcher & de voir Pythagore, s’appelloient exotériques & acousmatiques ou acoustiques. Voyez Pythagoriciens. Mais cette distinction n’étoit pas la seule qu’il y eut entre les ésotériques & les exotériques. Il paroît que Pythagore disoit seulement les choses emblématiquement à ceux-ci ; mais qu’il les révéloit aux autres telles qu’elles étoient sans nuage, & qu’il leur en donnoit les raisons. On disoit pour toute réponse aux objections des acoustiques, ἄυτος ιφα, Pythagore l’a dit : mais Pythagore lui-même résolvoit les objections aux ésotériques.

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ANTÉDILUVIENNE, (Philosophie). ou état de la philosophie avant le déluge. (Hist. de la philosophie ancienne.) Quelques-uns de ceux qui remontent à l’origine de la philosophie, ne s’arrêtent pas au premier homme, qui fut formé à l’image & ressemblance de Dieu, mais comme si la terre n’étoit pas un séjour digne de son origine, ils s’élancent dans les cieux, & la vont chercher jusque chez les anges, où ils nous la montrent toute brillante de clarté. Cette opinion paroît fondée sur ce que nous dit l’Écriture de la nature & de la sagesse des anges. Il est naturel de penser qu’étant, comme elle le suppose, d’une nature bien supérieure à la nôtre, ils ont eu par conséquent des connoissances plus parfaites des choses, & qu’ils sont de bien meilleurs philosophes que nous autres hommes.

Quelques savans ont poussé les choses plus loin ; car pour nous prouver que les anges excelloient dans la physique, ils ont dit que Dieu s’étoit servi de leur ministère pour créer ce monde, & former les différentes créatures qui le remplissent. Cette opinion, comme l’on voit, est une suite des idées qu’ils avoient puisées dans la doctrine de Pythagore & de Platon. Ces deux philosophes embarrassés de l’espace infini qui est entre Dieu & les hommes, jugèrent à propos de le remplir de génies & de démons : mais, comme dit judicieusement M. de Fontenelle contre Platon, hist. des Oracles, de quoi remplira-t-on l’espace infini qui sera entre Dieu & ces génies, ou ces démons mêmes ? car de Dieu à quelque créature que ce soit, la distance est infinie.

Comme il faut que l’action de Dieu traverse, pour ainsi dire, ce vuide infini pour aller jusqu’aux démons, elle pourra bien aller aussi jusqu’aux hommes, puisqu’ils ne sont plus éloignés que de quelques degrés qui n’ont nulle proportion avec ce premier éloignement. Lorsque Dieu traite avec les hommes par le moyen des anges, ce n’est pas à dire que les anges soient nécessaires pour cette communication, ainsi que Platon le prétendoit ; Dieu les y emploie par des raisons que la philosophie ne pénétrra jamais, & qui ne peuvent être parfaitement connues que de lui seul. Platon avoit imaginé les démons pour former une échelle par laquelle, de créature plus parfaite en créature plus parfaite, on montât enfin jusqu’à Dieu, desorte que Dieu n’auroit que quelques degrés de perfection par-dessus la première des créatures. Mais il est visible que, comme elles sont toutes infiniment imparfaites à son égard, parce qu’elles sont toutes infiniment éloignées de lui, les différences de perfection qui sont entr’elles disparoissent dès qu’on les compare avec Dieu : ce qui les élève les unes au-dessus des autres, ne les approche guère de lui. Ainsi, à ne consulter que la raison humaine, on n’a besoin de démons, ni pour faire passer l’action de Dieu jusqu’aux hommes, ni pour mettre entre Dieu & nous quelque chose qui approche de lui plus que nous ne pouvons en approcher.

Mais si les bons anges qui sont les ministres des volontés de Dieu, & ses messagers auprès des hommes, sont ornés de plusieurs connoissances philosophiques, pourquoi refuseroit-on cette prérogative aux mauvais anges ? leur réprobation n’a rien changé dans l’excellence de leur nature, ni dans la perfection de leurs connoissances ; on en voit la preuve dans l’astrologie, les augures & les aruspices. Ce n’est qu’aux artifices d’une fine & d’une subtile dialectique, que le démon qui tenta nos premiers parens, doit la victoire qu’il remporta sur eux. Il n’y a pas jusqu’à quelques pères de l’église, qui, imbus des rêveries platoniciennes, ont écrit que les esprits réprouvés ont enseigné aux hommes qu’ils avoient su charmer, & avec lesquels ils avoient eu commerce, plusieurs secrets de la nature ; comme la métallurgie, la vertu des simples, la puissance des enchantemens, & l’art de lire dans le ciel la destinée des hommes.

Je ne m’amuserai point à prouver ici combien sont pitoyables tous ces raisonnemens par lesquels on prétend démontrer que les anges & les diables sont des philosophes, & même de grands philosophes. Laissons cette philosophie des habitans du ciel & du ténare : elle est trop au-dessus de nous : parlons de celle qui convient proprement aux hommes, & qui est de notre ressort.