dialectique captieuse & sophistique : mais il y a du moins entre les ergoteries des disciples de Zénon, & celles de l’école d’Arcésilas & de Carnéade, une différence remarquable, c’est que les disputes des stoïciens entre-eux & avec les autres philosophes, avoient souvent pour objet des questions qui n’exerçoient qu’une vaine subtilité, & qui, pour parler comme Montaigne, laissoient l’entendement & la conscience vuides : au lieu que les arguties des Académiciens prefque toujours liées à des discussions dont le fonds étoit très intéressant pour de bons esprits, & sur lequel il n’étoit pas indiffèrent d’avoir une opinion vraie ou fausse, fixe ou vacillante, n’ont pas été inutiles aux progrès de la raison, parce que, pressé d’abord par cette logique épineuse qui ne persuade pas, mais qui rend tout plus ou moins incertain, on a senti la nécessité d’écarter ces difficultés ; en en a cherché la solution, & on l’a trouvée.
Ce qui rend la Physique & la Métaphysique des anciens si vague, si obscure, si difficile à entendre, c’est qu’ils n’avoient pas, si l’on peut s’exprimer ainsi, la langue de leurs idées. En étudiant leur philosophie spéculative & purement rationnelle, on s’apperçoit que cette langue qui leur eût été si nécessaire pour traduire leurs pensées par des termes qui correspondissent exactement à la finesse, à la subtilité de ces concepts, leur manque très souvent, & qu’elle n’étoit pas encore faite. L’éloquence & la poésie cultivées chez les grecs avec tant de succès & de gloire, avoient donné à leur langue ce mouvement, ce nombre & cette harmonie qui la caractérisent, & dont leur oreille sensible & délicate étoit un juge si sévère & si exercé. Toutes les ressources, tous les avantages qu’une langue peut offrir à des hommes qui avoient un besoin continuel d’émouvoir, d’attendrir, d’irriter, de porter successivement le trouble & le calme dans les esprits, & de parler fortement aux sens & à l’imagination, se trouvent réunis dans le grec. Mais la langue philosophique de ce peuple ingénieux & subtil n’avoit pas fait autant de progrès, parce que, même dans les hommes les mieux organisés, ce jugement sain & réfléchi, ces pensées vastes & profondes, en un mot, cette raison perfectionnée & dans toute fa force qui fait les philosophes, est partout le produit de la méditation, de l’expérience & de l’observation, multiplié par le temps ; & qu’un peuple est déjà bien vieux, souvent même bien corrompu, quand le flambeau de la philosophie commence à l’éclairer. Les grecs s’étoient enrichis de plusieurs connoissances nouvelles ; leurs idées tournées assez rapidement vers des objets intellectuels, très-propres par leur nature à aiguiser l’esprit, à lui donner du ressort & de l’activité, étoient devenues plus abstraites, plus générales : mais leur langue douce & flexible, féconde en termes énergiques & passionnés, en métaphores hardies, en images, en inversions, est restée la même pour l’orateur, pour le poëte & pour le philosophe : celui-ci avec plus d’étude, plus d’instruction, avec une plus grande habitude d’observer & de comparer ; j’ajouterai même avec plus d’esprit, puisqu’il avoit sans cesse à trouver l’expression de nouvelles idées, de nouveaux rapports apperçus entre les objets,