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DISCOURS

Voltaire ou l’inventeur du métier à bas, on ne peut guère espérer de voir jamais une bonne histoire critique de la Philosophie ancienne, à moins qu’il ne naisse quelque jour un homme qui réunisse à des connoissances très étendues dans plusieurs sciences un esprit juste & profond, une érudition immense & bien digérée, une étude réfléchie des langues anciennes, un goût perfectionné par la lecture & la comparaison des grands modèles, & le talent de colorer agréablement les divers objets qu’il veut offrir alternativement à l’imagination & à la raison de ses lecteurs.

De ces différentes sortes de mérite, toutes si nécessaires à un historien de la Philosophie ancienne, Diderot a peut-être rassemblé en lui seul les plus rares, & celles qui dans tous les tems suffisent pour faire & pour assurer le succès d’un poëme, d’un ouvrage de littérature ou de raisonnement ; mais une histoire de la Philosophie exige quelque chose de plus. Si d’un côté il est peu de parties dans l’Encyclopédie d’une utilité plus générale, plus constante & qui par la profondeur des matières qu’elle embrasse, par le nombre & la nature des idées qu’elle réveille dans l’esprit ; & qui sont quelquefois à une grande distance des premières, offre un champ plus vaste à la méditation ; de l’autre il n’en est aucune où l’on ait plus souvent besoin des secours de l’érudition & de la critique ; & ces deux instrumens ne sont pas, en général ceux dont les philosophes fassent le plus d’usage. Diderot étoit même absolument incapable de cette patience, de cette exactitude si nécessaires dans l’examen des faits : & cette attention scrupuleuse que dans ces recherches & dans ces discussions arides il faut sans cesse donner à une foule de petits objets, qui ont néanmoins leur utilité, étoit sur-tout au-dessus de ses forces. Il en usoit précisément avec les anciens comme avec les modernes ; il les lisoit dans sa tête, citoit leurs pensées dans la forme originale qu’elles y avoient prise, & s’identifioit tellement avec eux, que sans s’en appercevoir, il leur prêtoit quelquefois ses idées, & s’approprioit de même les leurs, à-peu-près comme des amis dont les biens sont communs & qui vivent solidaires.

Quoique la plupart des articles où il a traité de la Philosophie des anciens, soient très-curieux, très agréables à lire & qu’ils aient sur-tout le mérite si rare de faire beaucoup penser, il est aifé de voir qu’il n’avoit pas recueilli lui-même les matériaux qu’il met en œuvre, & que la forme à laquelle il s’est astreint dans ces articles, n’est pas celle qu’il leur eût donnée, si elle ne lui eut pas été en quelque sorte prescrite par le savant qu’il avoit pris pour guide. Il parloit souvent de la contrainte que cette marche uniforme, méthodique & compassée lui avoit imposée, & de l’influence trop sensible qu’elle avoit eue sur l’ensemble & les détails de l’ouvrage ; il regrettoit de n’avoir pas donné à cette partie de l’histoire des progrès de l’esprit humain une attention & des soins qui répondissent à l’importance de l’objet ; & il se proposoit d’y suppléer dans une seconde édition. Son plan étoit vaste & bien conçu ; l’exécution devoit être