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PRÉLIMINAIRE

phes, ni des geomètres ; mais on les verra reproduire, à la honte de la raison humaine, les ergoteries, les vaines subtilités de la secte de Mégare & des scholastiques, autre espèce de fous encore plus tristes.

Ce que nous venons de dire de ceux dont l’étude de la théologie a rempli, &, pour ainsi dire, absorbé la vie entière, peut s’appliquer également (mutatis mutandis) aux érudits, aux commentateurs & id genus omne. Le genre de travail auquel les uns & les autres se sont livrés, n’étoit ni le résultat d’une délibération, de ces oscillations plus ou moins longues qui annoncent une égalité au moins apparente de motifs & qui précèdent le choix, ni une affaire de circonstance, mais de caractère, mais d’organisation, mais d’instinct : c’étoit en eux l’effet nécessaire d’un goût plus marqué, d’une aptitude exclusive à telle ou telle chose de ce sentiment plus ou moins vif que chaque homme a de ses propres forces, sentiment qui lui est commun avec l’animal[1], & qui les avertit l’un & l’autre de ce qu’ils peuvent oser. C’est lui qui semble leur dire : « Tu peux aller jusques là ; voilà le terme que la nature t’a fixé ; & tous les efforts que tu feras pour le passer, ne serviront qu’à révéler le secret de ta foiblesse :

— — Non, si te ruperis, inquit,
Par eris.

Il résulte des réflexions précédentes, que si le philosophe & l’érudit sont, pour parler avec quelque précision, deux espèces d’automates montés pour une certaine suite de mouvemens divers, deux machines nécessairement disposées, organisées, l’une pour avoir beaucoup d’esprit, de jugement & d’idées, & pour faire de la raison ; l’autre, pour retenir, par exemple, à-peu-près tous les mots d’une langue morte & leurs radicaux, pour savoir dans quel sens chacun de ces mots est employé dans tel & tel auteur ancien, & le passage original ou de quelque vieux scholiste où cette expression se trouve[2] ; enfin, si, comme on n’en peut douter, chacun de nous est nécessairement tel, si l’un est destiné, signé par la nature pour être Saumaise, l’autre pour être Hobbes ou Newton,


  1. Sentit enim vim quisque suam quam possit abuti :
    Cornua nata priùs vitulo quam frontibus exstent.
    Illis iratus petit, atque insensus inurget.

    Lucrec. de rer. nat. L. 5 vers. 1032 & seqq.

  2. Il y a en effet tel érudit dont toute la science ne s’étend guères plus loin. Je ne pense pas que ce soit l’homme de l’Europe qui sache le mieux le grec, mais c’est peut-être celui qui fait le plus de grec, ce qui est fort différent & ne suppose même qu’une sorte de mémoire assez commune. Au reste, cet éditeur de plusieurs ouvrages qui auroient dû rester ensevelis dans la poussière des bibliothèques d’où il les a tirés, peut être cité comme un des exemples du mauvais usage que certaines gens font de l’érudition. Il est du nombre de ces critiques dont parle Buddeus, & qui croyent, dit-il, qu’il ne leur manque rien pour être parfaitement savans pourvu qu’ils fatiguent perpétuellement les yeux de leurs lecteurs par ces paroles fastueuses, deleo, interpungo, corrigo, manuscripta sic habent, hoc ab antiquo ritu, &c. Voyez parmi les selecta juris natura &gentium de Buddeus, la dissertation qui traite de la culture de l’esprit, de cultura ingenii ; c’est la sixieme de ce recueil.