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DISCOURS


SUR L’ÉTUDE DE LA MORALE


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AVANT-PROPOS.


CHACUN connoit cette grande idée de Bossuet : Quand l’histoire seroit ignorée des autres hommes, elle devroit toujours être l’étude de ceux qui sont appellés à gouverner un grand empire. On pourroit dire de même ; quand il seroit permis à quelques peuples de négliger l’étude de la Morale, elle seroit toujours indispensable pour un peuple libre, elle l’est surtout pour un peuple qui vient de conquérir sa liberté. Les habitudes d’un ancien esclavage agissent encore sur lui lors même qu’il les déteste, le sentiment d’une liberté nouvelle lui donne une ivresse bien différente encore de l’enthousiasme généreux qui suit ce sentiment perfectionné. Déjà il est élevé au-dessus de lui-même, mais il n’est point encore élevé jusqu’à la dignité dont il est susceptible, il ne jouit qu’avec défiance de la grande conquête qu’il vient de faire, il hait avec force les ennemis qu’il a terrassés & ne sait pas distinguer encore les ennemis secrets qui s’attachent à le troubler ; les idées d’une indépendance anti sociale se mêlent à celles d’une liberté qui met en commun le génie, les vertus, les facultés de tous en couvrant tout de la protection des loix, en assujettissant tout à leur empire ; il paroit toujours prêt à retomber dans la servitude où il a langui long-temps, s’il ne continue de s’agiter avec la même violence qui lui a fait rompre ses chaines. Il ne peut encore avoir pour la patrie cette affection vive, ce zèle tendre qui est le produit de l’éducation & des biens que la patrie a fait goûter. L’habitude trop prolongée de la haine & de la vengeance l’attache à ces doux sentimens qui fondent l’empire des loix.

Ce fanatisme, ces idées sombres que des hommes pervers s’attachent à lui communiquer réagissent sur ceux même qui par leurs talens & leur situation pourroient donner aux sentimens du peuple une dîrection plus heureuse, tout seroit perdu si les erreurs qui se répandent, qui se succèdent avec rapidité pouvoient s’arrêter dans l’imagination, dans le cœur des citoyens. C’est alors que le dépôt sacré de la Morale devient le soin le plus pénible peur des hommes purs & courageux qui s’y dévouent. La Philosophie laisse quelquefois échapper les rênes d’une révolution qu’elle a conduite, mais elle est tou-