de bien des modifi cations que nous ne saurions
imaginer.
) Ces sens seraient remués par des corpuscules
d’une certaine forme : ils s’instruiraient,
comme
les autres, d’après le toucher ; 8c ils apprendraient
de lui à rapporter leurs sensations íur les
objets.
Mais les sens que nous avons suffisent à notre
conservation : ils sont même un trésor de connoissances
pour ceux qui savent en faire usage ;
& si les autres
n’y puisent pas les mêmes richesses ,
ils ne se doutent pas de leur indigence.
Comment imagineraient-ils qu’on" voit dans des
sensations qui leur sont communes, ce qu’ils n’y
voient pas eux-mêmes ?
.
L’action des sens fur le cerveau rend donc
Tanimal sensible ; mais cela ne suffit p2S pour
donner au corps tous les mouvemens dont il í
est capable ; il faut encore que le cerveau agisse
fur tous les muscles 8c fur tous les organes intérieurs
destinés à mouvoir chacun des membres.
Or Tobscrvation démontre cette action du
cetveau.
Par conséquent, lorsque ce principal ressort
reçoit certaines déterminations de la part des sens,
il en communique d’autres à quelques-unes des
parties du corps , 8c Tanimal se meut.
L’animal n’auròit que des mouvemens incertains ;
si Taction des sens fur le cerveau, 8c du
cerveau fur les membres n’eût été accompagné
d’aucun sentiment. Mû fans éprouver ni peine
ni plaisir, il n’eût pris aucun intérêt aux mouvemens
de son corps : il ne les eût donc pas ,
observés, il n’eût donc pas appris à les régler
lui-même.
Mais dès qu’il est invité par la peine ou par
le plaisir,
à éviter ou à faire certains mouvemens,
c’est une conséquence qu’il se fasse une
étude de les éviter ou de les faire. II compare
les sentimens qu’il éprouve : il remarque les mouvemens
qui les précèdent, tk ceux qui les accompagnent :
il tâtonne,
en -un mot ; &c après
bien des tâtonnemens , il contracte enfin Thabitude
de se mouvoir à fa Jvolonté. C’est alors
qu’il a des mouvemens réglés. Tel est le principe
de toutes les habitudes du corps.
Ces habitudes sont des mouvemens réglés,
qui se font en nous, fans que nous paraissions
les diriger nous-mêmes ; parce qu’à force de les
avoir répétés , nous les faisons fans avoir besoin
d’y penser. Ce font ces habitudes qu’on nomme
mouvemens naturels , actions méchaniques , instinct,
& qu’on suppose faussement êtte nées avec nous.
On évitera ce préjugé, si Ton juge de ces habitudes
par d’autres qui nous sont devenues tout
aussi naturelles, quoique nous nous souvenions
«le les avoir acquises.
La. première fois, par exemple, que je porte
les doigts fur un clavecin,
ils ne peuvent avoir
que des mouvemens incertains ; mais à mesure
que j’apprends à jouer de cet instrument, je me
fais insensiblement une habitude de mouvoir mes
doigts fur le clavier. D’abord ils obéissent avec
peine aux déterminations que je veux leur faire
prendre : peu-à-peu ils surmontent les obstacles ;
enfin ils se meuvent d’eux-mêmes à ma volonté,
ils la préviennent même, tk ils exécutent un morceau
de musique, pendant que ma réflexion se
porte fur toute autre chose.
Ils contractent donc Thabitude de se mouvoir suivant un certain nombre de déterminations ; tk comme il n’est point de touche par où un airnepuifle commencer, il n’est point de détermination qui ne puisse être la première d’une ’certaine suite : Texercice combine tous les jours • différemment ces déterminations ; les doigts acquièrent tous les jours plus de facilité 1 ensin, ils obéissent, comme d’eux-mêmes, à une fuite de mouvemens déterminés ; tk ils y obéissent fans effort-, fans qu’il soit nécessaire que j’y fasse attention. C’est ainsi que les organes des sens, ayant contracté différentes habitudes, íé meuvent d’eux-mêmes, tk que Tame n’a plus besoin de veiller continuellement sur eux pour en régler les mouvemens. Mais le cerveau est le premier organe : c’est un centre commun où tous se réunissent, Sc d’où même tous paraissent naître. En jugeant donc du cerveau par les autres sens, nous serons en droit de conclure que toutes les habitudes du corps passent jusqu’à lui, tk que par conséquent les fibres qui le composent, propres par leur flexibilité à des mouvemens de toute espèce, acquièrent, comme les doigts, Thabitude d’obéir à différentes suites de mouvemens déterminés. Cela étant, le pouvoir qu’a mon cerveau de me rappeller un objet, ne peut être que la facilité qu’il a acquise de se mouvoir par lui-même de la même manière qu’il étoit mû, lorsque cet objet frappoit mes sens La cause physique tk occasionnelle qui conserve ou qui rappelle les idées, est donc dans les déterminations dont le cerveau ; ce principal organe du sentiment, s’est fait une habitude , Sc qui subsistent encore , ou sc reproduisent, lors même que les sens cessent d’y concourir ; car nous ne nous retracerions pas les objets que nous avons vus, entendus, touchés, si le mouvement ne psenoit pas les mêmes déterminations que lors : que nous voyons, entendons, touchons. En un mot, Taction méchanique fuit les mêmes loix , soit qu’on éprouve une sensation, soit qu’on se souvienne seulement de Tavoir éprouvée , & la mémoire n’est qu’une manière de sentir. J’ai souvent oui demander : que deviennent íes idées dont on cesse de s’occuper ? Où se conservent-elles ?
D’où reviennent-elles,
lorsqu’elles sc représentent à nous ?Est-ce dans Tame qu’elles existent pendant ces longs intervalles où nous n’v pensons point ? Est-ce dans le corps ?