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Après avoir vu qu’on fouîevoit
une grosse
pierre que Ia main ne pouvoit remuer, l’imagination
acîive inventa ses leviers, 8c ensuite les forces
mouvantes composées, qui ne sont que des leviers
déguises. 11 faut se peindre d’abord dans
l’esprit les machines «Scleurs effets pour les exécuter.
Ce n’est pas cette sorte d’imagination que le vulgaire
appelle, ainsi que la mémoire , Yennemie du
jugement ; au contraire,
elle ne peut agir qu’avec
un jugement profond. Elle combine fans cesse
ses tableaux, elle corrige ses erreurs, elle élève
tous ses édifices avec ordre. II y a uneimagination
étonnante dans la mathématique pratique , 8c
Archimède avoit au moins autant d’imagination
qu’Homère.
C’est par elle qu’un poète crée ses
personnages, leur donne des caractères,
. des
passions ; invente fa fable, en présente Fexpofition ,
en redouble le noeud, en prépare se dénouement ;
travail qui demande encore le jugement
le plus profond, 8c en même-tems le plus
fin.
II faut un très-grand art dans toutes ces imaginations,
d’invention,
«Sc même dans les romans ;
ceux qui en manquent sont méprisés des esprits
bien faits. Un jugement toujours sain règne dans
les fables d’Esope ; elles seront toujours les délices
des nations. II y a plus d’imagination dans les
contes de fées ; mais ces imaginations fantastiques,
toujours dépourvues d’ordre 8c de bon sens, ne
peuvent être estimées ; on les lit par foiblesse , ôc
on les condamne par raison.
La seconde partie de Yimagination aíîive esscelle
de détail, «Scc’est elle qu’on appelle communément
imagination dans le monde. C’est elle qui
fait se charme de Ia conversation ; car elle préente
sans cesseà l’esprit ce que les hommes aiment
se mieux , des objets nouveaux ;
elle
peint vivement
ce que les esprits froids dessinent
à peine, elle emploie les circonstances les
plus frappentes, elle allègue des
exemples,
«Sc
quand ce talent se montre avec Ia sobriété qui
convient à tous les talens , il se concilie Tempire
de la société. L’homme est tellement machine,
que le vin donne quelquefois cette imagination,
que Foisiveté anéantit : il y a là de quoi s’humilier,
mais de quoi admirer. Comment se peut il
faire qu’un peu d’une certaine liqueur qui empêchera
de faire un calcul, donnera des idées brillantes ?
C’est fur-tout dans Ia Poésie que cette imagination de détail «Sc d’expression doit régner ; elle est ailleurs agréable ; maislàelle est nécessaire ; presque tout est image dans Homère , dans Virgile , dans Horace, fans même qu’on s’en ap perçoive. La tragédie demande moins d’images, moins d’expressions pittoresques, de grandes métaphores , d’allégories, que le poème épique ou l’ode ; mais la plupart de ces beautés bien ménagées font dans la tragédie un effet «admirable. Un homme qui, fans être poê’te í ose donner uné tragédie , fait dire à Hyppolite , Depuis que je vous vois j’abandonne la chaste. Mais Hyppolite, que le vrai poète fait parler ; dit : Mon arc, mesjavelots, msnehar, tout m’importune : Ces imaginations ne doivent jamais être forcées ; empoulées, gigantesques. Ptolomée parlant dans un conseil d’une bataille qu’il n’a pas vue , 8c qui s’est donnée loin de chez lui, ne doit point peindre Des montagnesdemorts privés d’honneurssuprêmes^ Que la nature force àfe venger eux-mêmes, Et dont les troncs pourris exhalent dans les vents j’ De quoi faire la guerre au reste des vivants. Une princesse ne doit point dire à un Empereurs La vapeur de monsang ira grossir la foudre, Que Dieu tient déjà prête à te réduire en poudre. On sent assez que Ia vraie douleur ne s’amuse point à une métaphore si recherchée 8c si fausse. II n’y a que trop d’exemples de ce défaut. On les pardonne aux grands poètes ; ils servent à rendre les autres ridicules. L’imagination aclive qui fait les poètes leur donne l’enthousiasme , c’est-à-dire , selon le mot grec, cette émotion interne qui agite en effet l’esprit, «Scqui ttansforme l’auteur dans le perfonnage qu’il fait parler ; car c’est-Ià l’enthousiasme ; il consiste dans I’émotionf 8c dans les images : alors l’auteur dit précisément les mêmes choses que diroit la personne qu’il introduit, Je le vis , je rougis, je pâlis à fa vue- ; Un trouble s’éleva dans mon ame éperdue ; Mes yeux nevoyoient plus, je ne pouvois parler. L’imagination alors ardente «Scsage , n’entasse point de figures incohérentes ; elle ne dit point, , par exemple, pour exprimer un homme épais de corps «Scd’esprit. Qu’il est flanqué de chair , gabionné de lard a Et que la nature En maçonnant les remparts deson ame, Songea plutôt au fourreau qu’4 h lame. II y a de {’imagination dans ces vers ; mais elle est grossière, elle est déréglée , elle est fausse î Fimage de rempart ne peut s’allier à celle de