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même, ou pour communiquer aux autres ce que nous avons dans l’esprit. Dans le second cas, nous remplissons nos vues, lorsque nous nous faisons entendre de celui à qui nous parlons : au premier, il suffit d’être parvenu à des principes assez certains, pour que nous puissions y donner notre assentiment.

De là on peut conclure l’importance de ne pas se contenter d’idées confuses dans les cas ou l’on peut s’en procurer de distinctes ; c’est ce qui donne cette netteté d’esprit qui en fait toute la justesse. Pour cela il faut s’exercer de bonne heure & assiduement sur les objets les plus simples, les plus familiers, en les considérant avec attention sous toutes leurs faces, & sous toutes les relations qu’ils peuvent avoir, en les comparant ensemble, en ayant égard aux moindres différences, & en observant l’ordre & la liaison qu’elles ont entr’elles.

Passent ensuite à des objets plus composés, on les observera avec la même exactitude, & l’on se fera par là une habitude d’avoir presque sans travail & sans peine des idées distinctes, & même de discerner toutes les idées particulières qui entrent dans la composition de l’idée principale. C’est ainsi qu’en analysant les idées de plusieurs objets, l’on parviendra à acquérir cette qualité d’esprit qu’on désigne par le mot profondeur. Au contraire, en négligeant cette attention, l’on n’aura jamais qu’un esprit superficiel qui se contente des idées claires, & qui n’aspire point à s’en former de distinctes, qui donne beaucoup à l’imagination, peu au jugement, qui ne saisit les choses que par ce qu’elles ont de sensible ; ne voulant ou ne pouvant avoir d’idées de ce qu’elles ont d’abstrait & de spirituel ; esprit qui peut se faire écouter, mais qui pour l’ordinaire est un fort mauvais guide.

C’est sur-tout le manque d’attention à examiner les objets de nos idées, à nous les rendre familiers, qui fait que nous n’en avons que des idées obscures ; & comme nous ne pouvons pas toujours conserver présens les objets dont nous avons acquis même des idées distinctes, la mémoire vient à notre secours pour nous les retracer ; mais si alors nous ne donnons pas la même attention à cette faculté de notre ame, l’expérience fait voir que les idées s’effacent autant & par les mêmes degrés par lesquels elles ont été acquises, & se sont gravées dans l’ame ; en-sorte que nous ne pouvons plus nous représenter l’objet, quand il est absent, ni le reconnoître, quand il est présent : des idées légèrement saisies, imparfaitement digérées, quoique distinctes, ne seroient bientôt plus que claires, ensuite confuses, puis obscures, & deviendront si obscures, qu’elles se réduisent à rien. L’exemple de la manière dont un jeune homme transporté en pays étranger, vient à oublier sa langue maternelle apprise par routine, en seroit une preuve, si l’on n’en avoit une infinité d’autres.

La manière de voir, d’envisager un objet, de le considérer avec attention sous toutes ses faces, de l’étudier, de ranger dans son esprit sous un certain ordre les idées particulières qui en dépendent, de s’appliquer à se rendre familiers les premiers principes & les propositions-générales, de se les rappeller souvent, de ne pas s’occuper de trop d’objets à la fois, ni d’objets qui ayant trop de rapports, peuvent se confondre ; de ne point passer d’un objet à l’autre qu’on ne s’en soit fait une idée distincte, s’il est possible : tout cela forme une méthode de se représenter les objets, de connoître, d’étudier, sur laquelle on ne peut prescrire ici toutes les régles, que l’on trouvera dans un traité de Logique bien fait.

Convenons cependant qu’il est des choses dont, avec toute l’attention & la disposition possible, on ne peut parvenir à se faire des idées distinctes, soit parce que l’objet est trop composé, soit parce que les parties de cet objet différent trop peu entr’elles, pour que nous puissions les démêler & en saisir ses différences, soit qu’elles nous échappent par leur peu de proportion avec nos organes, ou par leur éloignement, soit que l’essentiel d’une idée, ce qui la distingue de toute autre, se trouve enveloppé de plusieurs circonstances étrangères qui les dérobent à notre pénétration. Toute machine trop composée, le corps humain par exemple, est tellement combinée dans toutes ses parties, que la sagacité des plus habiles n’y peut voir la millième partie de ce qu’il y auroit à connoître pour s’en former une idée complettement distincte. Le mycroscope, le télescope nous ont donné à la vérité des idées plus distinctes sur des objets qui, avant ces découvertes étoient dans le second cas ; c’est-à -dire, très-obscures par la petitesse ou l’éloignement de ces objets ; & encore combien sommes-nous éloignés d’en avoir des idées nettes ! La plupart des hommes n’ont qu’une idée assez obscure de ce qu’ils entendent par le mot de cause, parce que dans la production d’un effet, la cause se trouve ordinairement enveloppée, & tellement jointe à diverses choses, qu’il leur est difficile de discerner en quoi elle consiste.

Cet exemple même nous indique un obstacle à nous procurer des idées distinctes ; c’est l’imperfection & l’abus des mots comme signes représentatifs, mais signes arbitraires de nos idées, il n’est que trop fréquent, & l’expérience nous montre tous les jours que l’on est dans l’habitude d’employer des mots, sans y joindre d’idées précises, ou même aucune idée, de les employer tantôt dans un sens, tantôt dans un autre, ou de les lier à d’autres, qui en rendent la signification indéterminée, & de supposer toujours, comme on le fait, que les mots excitent chez les autres les mêmes idées que nous y avons attachées.