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des substances, & celles des substances finies en ont encore moins que celle de l’être infini (i).

§. VII. Ces idées réalisées de la forte ont été id’une fécondité merveilleuse. C’est à elles que nous devons l’heureuse découverte des qualités occultes, des formes substantielles, des espèces intentionnelles :. ou, pour, ne parler que de ce qui est commun aux. modernes, c’est à elles que nous devons ces genres, " ces espèces,’ces essences 8cces différences, qui sont tout autant d’êtres qui vont se placer dans chaque substance, pour la déterminer à être ce qu’elle est. Lorsque les philosophes sc servent de, -ces mots être, substance, essence, genre, espèce, il ne faut pas s’imaginer qu’ils n’entendent que certaines collections d’idées simples qui nous viennent par scn— —sation & par réflexion ; ils veulent pénétrer plus avant, Sc voir dans chacun d’eux des réalités spécifiques. Si même nous descendons dans un plus gtand détail, & que nous passions en revue les noms des substances ; corps, animal, homme, , métal, or & argent, Sec. Tous dévoilent aux yeux des philosophes des êtres cachés au reste des hommes.

Une preuve qu’ils regardent ces mots comme iigne de quelque réalité, c’est que, quoiqu’une substance ait souffert quelqu’altération, ils ne laissent.pas de demander si elle appartient encore à la même espèce, à laquelle elle se rapportoit avant ce changement:question qui deviendroit superflue, s’ils mettoient les notions des substances & celles de leurs espèces dans différentes collections d’idées simples. Lorsqu’ils demandent si de la neige Si de la glace font de l’eau ; fi un foetus monstrueux— est un homme; Ji Dieu, les esprits, les corps, ou même le vuide font des subfiances, il est évident que la question n’est pas fi ces choses conviennent avec des idées simples rassemblées. sous ces mots eau, homme, substancej elle sc résoudrait d’elle-même. H s’agit de savoir si ces choses renferment certaines essences, certaines réalités qu’on suppose que ces mots eau, homme, substance signifient.

§. VIII. Ce préjugé a fait imaginer à tous les philosophes qu’il faut définir les substances par a différence la plus prochaine & la plus propre à en expliquer la nature. Mais nous sommes encore à attendre d’eux un exemple de ces sortes de définitions. Elles seront toujours défectueuses parl’impuissance où ils sont de connoître lesessences:impuissance dont ils ne se doutent pas, parce qu’ils sepréviennent pour des idées abstraites qu’ils réalisent, & qu’ils prennent ensuite pour l’essence même des choses.

§. IX. L’abus des notions abstraites réalisées se montre encore bien visiblement, lorsque les


philosophes, non contens d’expliquer à leur manière la nature de ce qui est, ont voulu expliquer la nature de ce qui n’est pas. On les a vus parler des créatures purement possibles, comrsie des créatures existantes, Sc tout réaliser jusqu’au néant d’où elles sont sorties. Où étoient les créatures, a-t-on demandé, avant que Dieu les eût créées ? La réponse est facile; car c’est demínder où elles étoient avant qu’elles fussent ? à quoi, ce me semble, il suffit de répondre qu’elles n’étoient nulle part.

L’idée des créatures possibles n’est traction qu’une abs— réalisée, que nous avons formée en cessant de penser à l’existence des choses, pour ne penser qu’aux autres qualités que nous leur connoissons. Nous avons pensé à l’étendue, à la figure, au mouvement Sc au repos des corps, Sc nous avons cessé de penser à leur existence. Voilà comment nous nous sommes fait l’idée des corps possibles:idée qui leur ôte toute leur réalité puisqu’elle les suppose dans le néant ; & qui, par une contradiction évidente, la leur conserve, puisqu’elle nous les représente comme quelque chose d’étendu, de figuré, Sec.

Les philosophes n’appercevant pas cette contradiction, n’ont pris cette idée que par ce dernier endroit. En conséquence, ils ont donné à ce qui n’est point les réalités de ce qui existe, & quelques — uns ont cru résoudre d’une maíiière sensible les questions les plus épineuses de la création.

§. X. « Je crains, dit Locke, que la manière » dont on parle des facultés de l’ame, n’ait fait » venir à plusieurs personnes l’idée confuse d’au— = » tantd’agens qui existent distinctement en nous, » qui ont différentes fonctions & différens pou— » voirs, qui commandent, obéissent & exécutent « diverses choses, comme autant d’êtres distincts; *>ce qui a produit quantité de vaines disputes, " de discours obscurs Sc pleins d’incertitude sur » les questions qui se rapportent à ces différents » pouvoirs de l’ame « .

Cette crainte est digne d’un sage philosophe ; car pourquoi agiteroit-on comme des questions fort importantes, si le jugement appartient à l’en^ tendement ou à la volonté ; s’ils font l’un & l’autre également actifs ou également libres ; fi la volonté estcapable de connoissance, ou si ce n’est qu’unefaculté aveugle ; si enfin elle commande à l’entçnde-— ment oufi celui-ci la guide & la détermine, ? Si par entendement & volonté, les philosophes ne vouloient exprimer que l’ame envisagée par rapport à certains actes qu’elle produit ou peut produire, il est évident que le jugement, l’activité Sc la liberté appartiendroient à l’entendement, ou ne lui appartiendroient pas, scion qu’en parlant de cette faculté, on considérerait plus ou moins de

(I) Descartes lui-même raisonne de la sorte.


Encyclopédie. Logique & métaphysique. Tom. I. C