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en même-temps, que de ne penser qu’à un seul, de voir toutes les faces d’un sujet, que de n’en envisager qu’une seule ; au lieu que la capacité de notre esprit est remplie, non-seulement lorsque nous pensons à un seul objet, mais même lorsque nous ne le considérons que par un seul endroit.

Des notions qui partent d’une telle origine, ne peuvent être que défectueuses, & vraisemblablement il y aura du danger à nous en servir sans précaution ; l’expérience ne nous en a que trop souvent convaincus, & il est du devoir d’un philosophe de se tenir en garde contre les erreurs qui peuvent en naître. Nous allons parcourir en peu de mots les différens pièges que nous tend l’agrément des idées universelles.

1°. L’abstraction métaphysique, en généralisant nos idées, a donné plus d’étendue à nos connoissances, &ca ouvert un champ plus vaste à nos méditations. Il est flatteur pour notre esprit de pouvoir, au moyen des classifications sous lesquelles « ous rangeons tous les êtres, embrasser la nature entière : nous en sommes, ou au moins nous en paroissons plus savans, plus profonds : nous faisons, d’après ces idées universelles, des règles générales en plus petit nombre, nous portons des jugemens plus étendus, notre paresse, ou plutôt la foible portée de notre esprit en est flattée ; mais en nous applaudissant de notre science spéculative, nous sommes forcés à chaque pas de déplorer notre peu d’habileté dans la pratique. Etendre nos idées générales n’est pas perfectionner nos idées individuelles, & cependant ce n’eíî jamais d’une manière générale & universelle que nous agissons, mais toujours dans les cas particuliers, & envers tel ou tel individu. Or, ces trais particuliers, ces différences propres, ces circonstances individuelles, dent nous faisons abstraction pour généraliser nos idées, modifient si considérablement & de tant de façons différentes dans chaque individu, l’objet de l’idée métaphysique que nous nous sommes faite par Yabstraction, que ce qui étoit vrai à l’égard de l’idée générale, ne l’est plus à l’égard de l’individu. Si, pour juger sainement d’une chose dans chaque cas particulier, il faut la connoître sous toutes ses faces ; sipour réussir à produire tel effet désiré sur tel individu, ilfautavoir une idée la plus exacte possible du sujet surlequel on veut agir, & des moyens que l’on emploie, on devra convenir que le plus habile dans chaque genre d’occupation, & dans chaque cas particulier, ne fera pas celui qui aura le plus d’idées abstraites métaphysiques, & les notions les plus universelles, mais celui qui aura le plus d’idées distinctes individuelles. De-là vient, par exemple, que tant de savans médecins, dont les jugemens généraux sont des oracles, & qui dans la spéculation l’emportent sur tous les autres, ont si peu de succès & montrent une capacité au-dessous du médiocre dans la cure des maladies pour lesquelles les particuliers les consultent. De là tant de systèmes de


législation, d’éducation, d’économie, qui, aussi long-temps que l’on s’en tient aux idées générales, paraissent bien liés & infaillibles, qui cependant, lorsqu’on vient à en faire l’application aux cas particuliers, sont absolument impraticables. De la tant de machines inventées avec esprit, mais qui, pour avoir été construites d’après des idées purement métaphysiques, ont prouvé ce que nous avons dit, que ce ne sont pas les idées universelles, mais le plus grand nombre d’idées distinctes individuelles, qui font l’homme habile, dans chaque genre d’occupation, dans chaque cas particulier. Les défauts dont nous avons parlé viennent de ce que l’on ne se souvient pas comme on le devroit, i°. que les abstractions ne sont que dans notre esprit & jamais dans la nature ; qu’il n’exiite point d’être métaphysique, aucun objet général, mais seulement des individus ; que la nature n’agit jamais par classe, mais par individus ; & que l’idée abstraite universelle est, dans chacun des êtres, modifiée par tant de circonstances propres, que l’on ne saura établir aucune règle générale d’une application sûre, sur la seule idée universelle formée par [’abstraction métaphysique. On oublie, i°. que quelque profondément que l’on ait médité sur les êtres d’une même espèce, quelque soin qu’on ait apperté à rassembler daiis l’idée universelle tous les traits qu’on suppose leur être essentiels, & qu’on voit leur être communs à tous, jamais cette idée universelle ne nous représentera leur essence, & par conséquent ne nous mettra èn droit de dire sans témérité : Je ne vois rien de plus que cela dans môn idée, donc il n’y a rien de plus que cela dans les êtres qu’elle doit me représenter, donc tels êtres ne peuvent produire ou souffrir quetels effets précisément. 30. Que c’est moins par rapport à leur nature réelle, que par rapport à nos connoissances, que nous rangeons les êtres dans différentes classes subordonnées ; un œil plus perçant, des sens plus délicats, plus de pénétration dans l’efprit, nous feroient appercevoir, entre des êtres que nous croyons semblables, des différences qui nous obligeroient à les ranger dans d’autres classes distinctes de toutes les autres : nous verrions qu’il n’est pas dans la nature deux êtres parfaitement semblables ; que chacun a des rapports, des influences, des qualités, des facultés, des pouvoirs différens} nous voyons des ressemblances, & nous en concluons précipitamment, que les différences dont nous faisons abstraction, ou que nous n’avons pas apperçues, ne sont rien 5 en conséquence, nous croyons pouvoir attendre les mêmes effets de chacun des individus que nous rangeons dans la même classe, & nous nous trompons.

2°. Une seconde erreur qui naît de l’habitude des abstractions, & de l’abus des idées universelles, consiste à regarder chaque genre, chaque espèce, chaque classe d’êtres, comme faisant un : orps à part, qui agit en bloc, qui forme dans la