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M. Locke, que la manière dont on.parlé des » facultés de l’ame, n’ait fait venir à plusieurs « personnes l’idée confuse d’autant d’agens qui »  » existent distinctement en nous, qui ont différen— » tes fpnctions SÍ différens pouvoirs, qui com— » mandent, obéissent, & exécutent diverses choisi », comme autant d’êtres distincts ; ce qui a » produit quantité de vaines disputes, de discours. » obscurs., & pleins d’incertitude sur les questions » qui se rapportent aux différens pouvoirs de l’a— » meM— Rien n’est mieux fondé qu’une telle crainte : lì l’on n’étoit pas tombé dans l’erreur dont je parle, auroit-on proposé & agité comme trèsimportantes ces questions sur lesquelles on est si fort divisé ? Si le jugement appartient à l’cntendement ou à la volonté ? s’ils sont l’un & l’autre également actifs, également libres ? si la volonté est capable de connoissance, ou si ce n’est qu’une faculté aveugle ? si l’entendement guide la volonté & la détermine, ou si la volonté est indépendante de l’entendement, &c. ? S’exprimeroit-on autrement quand l’ame scroit un être composé de divers êtres, comme le jugement, l’entendement & la volonté, & que ces êtres existeroient aussi séparément dans l’ame, qu’un père de famille, fa femme, son fils & son valet existent séparément & individuellement dans une même maison ? Aulieu qu’il falloit se souvenir que toutes les idées abstraites n’ont de réalité distincte que dans notre esprit ; que les diverses idées que la connoissance que— nous avons d’un individu nous donne, ne font le fruit que de diverses faces sous lesquelles nous l’envisageons, & des diverses impressions qu’il peut faire sur nous, par un effet de la puissance qui est en lui de les produire, & en nous de les recevoir ; que nous ne sommes venus à les distinguer, & à leur donner des noms, que par l’incapacité où nous sommes de voir en même-temps, & par un seul acte de l’efprit, un sujet sous toutes les faces, & de nous en faire, sans [’abstraction, des idées distinctes. Sa substance, ses modes, ses relations ne sont point différens êtres, mais un seul & même être, qui n’existe point autrement. Envain l’on distingue en Dieu des attributs physiques, des attributs moraux, & dans chacune de cesclasses, divers attributs|particuliers ; il n’y a rien en Dieu de réellement distinct. L’être éternel est en même-temps l’être juste ; le Dieu saint & sage, est en même — temps l’être immortel & bon 5il n’est jamais l’un sans l’autre, il ne laisse pas une de ses perfections à part, & ne s’en dépouille pas pour en exercer une autre. Ce sont là les attributs, les pouvoirs divers d’un être simple ; c’est son essence. L’homme a la faculté de marcher, de chanter, de parler, de penser, de choisir, de vouloir ; ce, sont bien dans notre esprit différentes facultés, mais non pas différens êtres : cet homme qui marche, qui chante, qui parle, est le même que celui qui pense, qui choisit, qui Veut. C’est la réunion de tout ce que nous distin-


guons dans un sujet qui en constitue l’être ; y ajouter eu, y retrancher, c’est en faire un être différent : çe n’est donc pas strictement de Dieu que vous parlez quand, vous livrant au goût de l’abstraction, vous parlez d’un être qui n’a qu’une bonté, ou une justice, ou une miséricorde, ou une sainteté sans bornes : qui dit Dieu, parle d’un être qui est souverainement parfait : qui dit amey parle d’un être intelligent ; toutes les facultés ©u qualités diverses que nous lui attribuons, ne sont que les suites ou effets nécessaires de ce qu’elle est.

Quelque loin que nous-poussions l’anaiysc & la décomposition d’une idée totale, avec quelque foin que nous ayons étudié chacune des idées partielles qu’elle renferme, quelque distinctement que par [’abstraction nous les ayons considérées, ne nous flattons pas d’avoir jamais acquis une idée parfaitement complette d’un individu quelconque : l’efprit le plus pénétrant ne parviendra jamais jusqu à une connoissance parfaite d’aucun des êtres que nous offre la nature. Le premier principe des substances, ou ce qu’on nomme l’essence des substances, nous fera toujours caché 5 ainsi quelque distincte que nous paroisse l’idée que par [’abstraction physique nous nous sommes formée d’un être, ne jugeons pas témérairement que nous l’avons approfondi, & qu’il ne nous reste plus rien à y connoître : tant que l’essence même nous est inconnue, nous sommes forcés de convenir qu’il peut y avoir dans cette essence des côtes qui ont échappé à nos regards, & qui nous fourniroient bien de nouvelles idées que nous ne soupçonnons pas, si le voile qui nous cache l’essence de la chose étoit levé : il n’y a que les idées que nous formons nous-mêmes, dont nous puissions dire que nous les connoissons entièrement.

Tant que nous nous en tenons à cette première abstraction, nous avons, il est vrai, des idées distinctes des individus : mais comme elle ne fait aucune comparaison d’un individu à un autre, pour en saisir le résultat, nous n’avons toujours par son moyen que des idées individuelles ; & tant que mon esprit est borné aux idées des individus, un objet ne m’aide point à en connoître un autre : chaque idée que je découvre dans le dernier objet que j’examine, est pour moi une idée toute nouvelle, qui appartient en propre à l’idée totale de cet individu : elle est elle-même une idée individuelle, pour laquelle je dois inventer un nouveau nom, & il m’en faudra inventer autant que la nature m’offrira d’idées individuelles dans l’immense variété des êtres : mais quelle imagination scroit capable de les inventer ? Quelle mémoire pourroit les retenir ? & quels organes suffiroient à les prononcer ? Non — seulement la neige, les lis, le papier, le linge, la craie, le lait, le plâtre, &c. auront leurs noms propres, mais encore chacun des modes de ces substances, qui ne s’offre à l’efprit que comme mode d’un tel individu. La blancheur, par exemple, qui est commune à ces divers