foule de vues justes & fécondes. Mais, dans toutes les autres parties, l’esprit humain, accroissant sans cesse son industrie par ses expériences, enfanta des prodiges. Par une bizarrerie singulière, on ne pouvoit s’aider de la philosophie, sans s’égarer ; c’étoit dans les poëtes, dans les orateurs, dans les atteliers même que l’on puisoit des idées justes, des procédés simples, des connoissances solides ; les poëtes, les orateurs, les artistes, les artisans, heureusement dominés par leur instinct, & ne pouvant plaire & servir que par la nature, ne s’étoient étudié qu’à la suivre ; les philosophes, en la méconnoissant dans leurs systèmes, n’avoient rien conservé de net & de sûr dans leurs idées. Faite pour tout éclairer, la philosophie ne servoit plus qu’à tout gâter.
Une ambition mal dirigée l’avoit corrompue chez les anciens ; ce fut la plus profonde ignorance qui la perdit chez les modernes. Les grecs commencèrent par emprunter toutes leurs connoissances des égyptiens ; mais, comme ils devinrent bientôt le plus éclairé & le plus ingénieux de tous les peuples, ils furent jaloux de perfectionner, au moins de changer ce qu’ils avoient appris ; & de là tant de doctrines nouvelles où ils signalèrent leur esprit d’invention. Après ces grandes ténèbres dont les invasions des barbares couvrirent l’Europe entière, ces nouveaux peuples ne savoient rien, sinon qu’il avoit existé des peuples savans, qu’ils ne pouvoient ni entendre, ni admirer, auxquels néanmoins ils vouèrent bientôt le culte le plus aveugle. Cependant un seul objet nouveau absorboit toutes leurs pensées : c’étoit une religion récemment descendue du ciel, & qui paroissoit leur avoir été accordée, comme pour les dédommager de tout ce qu’ils avoient perdu. Il n’y avoit plus que les ministres de cette religion qui eussent conservé quelques vestiges des connoissances anciennes ; il étoit naturel qu’ils les appliquassent à l’étude de cette religion, quoique sa sainteté & sa simplicité repoussassent également cette funeste & monstrueuse alliance. Les deux philosophes qui avoient régné dans la philosophie ancienne, par l’éclat de leur gloire & l’ascendant de leur génie, revinrent encore répandre leurs erreurs dans la théologie chrétienne. Platon & Aristote furent étudiés & cités commes des pères de l’église. Toutes ces confuses notions qu’ils avoient établies, ne servirent qu’à alimenter encore davantage cette fureur avec laquelle des hommes ignorans disputoient sur des objets sacrés, & donnèrent naissance à la scholastique, qui a tout altéré dans les choses divines, & tout retardé dans les sciences humaines. Comme elle formoit la plus grande partie