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AME

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faire contre la spiritualité de leur ame : elle est d’un si grand poids , que les Cartésiens ont cru la pouvoir tourner en preuve de leur sentiment, seule capable de les y retenir, malgré les embarras insurmontables où ce sentiment les jette. Si ks brutes ne sont pas de pures machines, si elles

sentent,

si elles connoissent, elles sont susceptibles de la douleur comme du plaisir ; elles sont sujettes à un déluge de maux , qu’elles souffrent sans qu’il y ait de leur faute, Se fans Tavoir mérité, puisqu’elles sont innocentes , Sc qu’elles n’ont jamais violé Tordre qu’elles ne connoissent point. Où est en ce cas la bonté , où est T équité du Créateur ? Où est la vérité de ce principe , qu’on doit regarder comme une loi éternelle de Tordre ? Sous un Dieu jufie , on ne peut être misérable sans [avoir mérité. Mais ce qu’il y a de pis dans leur condition,

c’est qu’elles souffrent dans

cette vie fans aucun dédommagement dans une autre, puisque leur ame meurt avec le corps ; Se c’est ce qui double la difficulté. Le père Makbranche a fort bien poussé cette objection dans fa défense contre ks accusations de M. de la Ville.

Je réponds d’abord que ce principe de S. Augustin ; savoir , que fous un Dieu jufie on ne peut être misérable sans l’avoir mérité, n’est fait que pour ks créatures raisonnables, Se qu’on ne saurait en faire qu’à elles seules d’application juste.

L’idée de justice, celle de mérite Se de démérite, suppose qu’il est question d’un agent libre, Se de la conduite de Dieu à Tégard de cet agent. II n’y a qu’un tel agent qui soit capable de vice Sc de vertu,

Sc qui puisse mériter quoi que ce soit. La maxime en question n’a donc aucun rapport à Yame des bêtes. Cette ame est capable de sentiment ; mais elle ne Test ni de raison, ni de liberté , ni de vice , ni de vertu j n’ayant aucune idée de règle, de loi, de bien ni de mal moral, elle n’est capable d’aucune action i moralement bonne ou mauvaise. Comme chez elle le plaisir ne. peut être récompense, la douleur n’y peut être châtiment : il faut donc changer la maxime, Se la réduire à celle-ci ; savoir, que, sous un Dieu bon, aucune créature ne peut être nécessitée à souffrir sans.Tavoir mérité : mais bien loin que ce principe soit évident, je crois être en droit de soutenir qu’il est faux. L’ame des brutes est susceptible de sensations , Se n’est susceptible que de cela» : elle est donc capable d’être heureuse en quelque degré. Mais comment le scra-t-elle ? c’est en s’unissan.t ì un corps organisé ; sa constitution est telle que la perception confuse qu’elle aura d’une certaine suite de mouvemens, excités par ks objets extérieurs dans le corps qui lui est uni, produira chez elk une sensation agréable : mais aussi, par tine conséquence nécessaire, cette ame , à Toccasion de son corps, sera susceptible de douleur comme de plaisir. Si la perception d’un certain iprdre de ntouvemens lui plaît, il faut donc que la ’

perception, d’un ordre de mouvemens tout différens Tafflige Sc la blesse : or, scion les loix générales de la nature , ce corps auquel Yame est unie doit recevoir assez souventdes impressions de

ce dernier ordre , comme il en reçoit du premier , Se par conséquent Yame doit recevoir des sensations douloureuses,

aussi bien que des sen-

sations agréables. Cela même est nécessaire pour Tappliquer à la conservation de la machine, dont son existence dépend, Se pour la faire agir d’une manière utile à d’autres êtres de Tunivers ; cela d’ailleurs est indispensable : voudriez -vous quecette ame n’eût que "des sensations agréables ? II faudroit donc changer le cours de la nature , 8c suspendre les loix du mouvement ; car les loix du mouvement produisent cette alternative d’impressions opposées dans les corps vivans, comme elles produisent celles de leur génération 8c de leur destruction : mais de ces loix résulte le plus grand bien de tout le système immatériel Sc des intelligences qui lui sont unies ; la suspension de ces loix renverserait tout. .Qu’emporte donc la juste idée d’un Dieu bon ? c’est que, quand il agit, il tende toujours au bien , Sc produise un bien ; c’est qu’il n’y ait aucune créature sortie de ses mains, qui ne gagne à exister plutôt que d’y perdre. Or telle est la condition

des bêtes ; qui

pourroit pénétrer leur intérieur, y trouveroit

une

compensation des douleurs 8c des plaisirs , qui tournerait toute à la gloire de la bonté divine ; on y verroit que , dans celles qui souffrent inégalement , il y a proportion , inégalité , ou de plaisirs ou de durée ; 8e que k degré de douleur qui pourroit rendre leur existence malheureuse , est précisément ce qui la détruit : en un mot, si Ton déduisoit la somme des maux, on trouveroit tou* jours au bout du calcul un résidu de bienfaits purs,.dont elles sont uniquement redevables à la bonté divine ; on verroit que la sagesse divine a su ménager les choses, ensorte que., dans tout

individu sensitif, le degré de mal qu’il souffre , fans lui enlever tout Tavantage de son existence , tourne d’ailleurs au profit de Tunivers. Ne nous imaginons pas aussi que les souffrances des bêtes ressemblent aux nôtres : ksbêtes ignorent un.grand nombre de nos maux , parce qu’elles n’ont pas les dédommagemens que nous avons ; ne jouissant pas des plaisirs que la raison procure , . elles n’en

éprouvent pas les peines : d’ailleurs la perception des bêtes étant renfermée dans’k point indivisible du présent , elles souffrent : beaucoup moins que nous par les douleurs du même genre ; parce que Timpatience

8e ; la crainte de, Tavenir

n’aigrit point leurs maux,

Se qu’heureusement

pour elles il leur manque une raison ingénieuse à se les grossir.

Mais n’y a-t-il pas de la cruauté Sc de Tinjustice à faire souffrir des âmes Se à les anéantir, en dé-

truisant leur corps pour conserver d’autres corps ? n’est-ce pas un renversement visible de Tordre , que