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récoltes ; que cette culture limitée laisse une grande partie des terres en non-valeur & sans revenu ; que l’incertitude du débit inquiète les fermiers, arrête les dépenses de la culture, fait baisser le prix du fermage ; que ce dépérissement s’accroît de plus en plus, à mesure que la nation souffre d’une précaution insidieuse, qui enfin la ruine entièrement.

Si pour ne pas manquer de grains, on s’imaginoit d’en défendre la vente à l’étranger, & d’empêcher aussi les commerçans d’en remplir leurs greniers dans les années abondantes, qui doivent suppléer aux mauvaises années, d’empêcher, dis-je, de multiplier ces magasins libres, où la concurrence des commerçans préserve du monopole, procure aux laboureurs du débit dans l’abondance, & soutient l’abondance dans la stérilité ; il faudroit conclure, des principes d’une administration si craintive & si étrangère à une nation agricole, qui ne peut s’enrichir que par le débit de ses productions, qu’on devroit aussi restreindre autant qu’on le pourroit la consommation du bled dans le pays, en y réduisant la nourriture du menu peuple, aux pommes de terres & au bled noir, aux glands, &c. & qu’il faudroit, par une prévoyance si déplacée & si ruineuse, empêcher le transport des bleds des provinces où ils abondent, dans celles qui sont dans la disette, & dans celles qui sont dégarnies. Quels abus ! quels monopoles cette police arbitraire & destructive n’occasionneroit-elle pas ! Que deviendroit la culture des terres, les revenus, l’impôt, le salaire des hommes, & les forces de la nation ?

XVII.

Que l’on facilite les débouchés & les transports des productions & des marchandises de main d’œuvre, par la réparation des chemins, & par la navigation des canaux, des rivières & de la mer ; car plus on épargne sur les frais de commerce, plus on accroît le revenu du territoire.

XVIII.

Qu’on ne fasse point baisser le prix des denrées & des marchandises dans le royaume ; car le commerce réciproque avec l’étranger deviendroit désavantageux à la nation. Telle est la valeur vénale, tel est le revenu : abondance & non-valeur n’est pas richesse. Disette & cherté est misère. Abondance & cherté est opulence.



NOTE Ire.
(Le bas prix des denrées du crû rendroit le commerce
désavantageux à la nation. )

Si, par exemple, on achette de l’étranger telle quantité de marchandises pour la valeur d’un septier de bled du prix de 20 livres, il en faudroit deux septiers pour payer la même quantité de cette marchandise si le gouvernement faisoit baisser le prix du bled à 10 livres.

NOTE IIe.
( Telle est la valeur vénale, tel est le revenu. )

On doit distinguer dans un état les biens qui ont une valeur usuelle, & qui n’ont pas de valeur vénale, d’avec les richesses qui ont une valeur usuelle & une valeur vénale ; par exemple, les sauvages de la Louisianne jouissaient de beaucoup de biens, tels sont l’eau, le bois, le gibier, les fruits de la terre, &c. qui n’étoient pas des richesses, parce qu’ils n’avoient pas de valeur vénale. Mais depuis que quelques branches de commerce se sont établies entr’eux & les françois, les anglois, les espagnols, &c. une partie de ces biens a acquis une valeur vénale & est devenue richesse. Ainsi l’administration d’un royaume doit tendre à procurer tout ensemble à la nation, la plus grande abondance possible de productions, & la plus grande valeur vénale possible, parce qu’avec de grandes richesses elle se procure par le commerce toutes les autres choses dont elle peut avoir besoin, dans la proportion convenable à l’état de ses richesses.

XIX.

Qu’on ne croie pas que le bon marché des denrées est profitable au menu peuple ; car le bas prix des denrées fait baisser le salaire des gens du peuple, diminue leur aisance, leur procure moins de travail & d’occupations lucratives, & anéantit le revenu de la nation.



NOTE.
( Le trop bon marché des denrées n’est pas avantageux
au petit peuple. )

La cherté du bled, par exemple, pourvu qu’elle soit constante dans un royaume agricole, est plus avantageuse au menu peuple, que le bas prix. Le salaire de la journée du manouvrier s’établit assez naturellement sur le prix du bled, & est ordinairement le vingtième du prix d’un septier. Sur ce pied si le prix du bled étoit constamment à vingt livres, le manouvrier gagneroit dans le cours de l’année environ 260 livres, il en dépenseroit en bled pour lui & sa famille 200 livres, & il lui resterait 60 liv. pour les autres besoins : si au contraire le septier de bled ne valoit que 10 liv. il ne gagneroit que 130 liv., il en dépenseroit 100 liv. en bled, & il ne lui resteroit pour les autres besoins que 30 liv. Aussi voit-on que les provinces où le bled est cher, sont beaucoup plus peuplées que celles où il est à bas prix.

Le même avantage se trouve pour toutes les