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cet argent oisif qui fait illusion au bas peuple ; c’est lui que le vulgaire regarde comme les richesses de la nation, & comme une grande ressource dans les besoins d’un état ; même d’un grand état, qui réellement ne peut être opulent que par le produit net des richesses qui naissent annuellement de son territoire, & qui, pour ainsi dire, fait renaître l’argent en le renouvellant & en accélérant continuellement sa circulation.

D’ailleurs quand un royaume est riche & florissant par le commerce de ses productions, il a, par ses correspondances, des richesses dans les autres pays, & le papier lui tient lieu par-tout d’argent. L’abondance & le débit de ses productions lui assurent donc par-tout l’usage du pécule des autres nations, & jamais l’argent ne manque non plus dans un royaume bien cultivé, pour payer au souverain & aux propriétaires les revenus fournis par le produit net des denrées commerçables, qui renaissent annuellement de la terre : mais quoique l’argent ne manque point pour payer ces revenus, il ne faut pas prendre le change, & croire que l’impôt puisse être établi sur la circulation de l’argent[1].

L’argent est une richesse qui se dérobe à la vue. Le tribut ne peut être imposé qu’à la source des richesses disponibles, toujours renaissantes, ostensibles & commerçables. C’est là que naissent les revenus du souverain ; & qu’il peut trouver de plus des ressources assurées dans des besoins pressans de l’état. Les vues du gouvernernent ne doivent donc pas s’arrêter à l’argent ; elles doivent s’étendre plus loin, & se fixer à l’abondance & à la valeur vénale des productions de la terre, pour accroître les revenus. C’est dans cette partie de richesses visibles & annuelles, que consiste la puissance de l’état & la prospérité de la nation : c’est elle qui fixe & qui attache les sujets au sol. L’argent, l’industrie, le commerce mercantile, & de trafic, ne forment qu’un domaine postiche & indépendant, qui, sans les productions du sol, ne constitueroit qu’un état républicain : Constantinople même, qui n’en a pas le gouvernement, mais qui est réduit aux richesses mobiliaires du commerce de trafic, en a, au milieu du despotisme, le génie & l’indépendance dans les correspondances & dans l’état libre de ses richesses de commerce.

XIV.
(Qu’on favorise la multiplication des bestiaux ;)


car ce sont eux qui fournissent aux terres les engrais qui procurent les riches moissons.


NOTE.
(Favoriser la multiplication des bestiaux.)

Cet avantage s’obtient par le débit, par l’emploi & l’usage des laines dans le royaume, par la grande consommation de la viande, du laitage, du beurre, du fromage, &c. sur-tout par celle que doit faire le menu peuple qui est le plus nombreux : car ce n’est qu’à raison de cette consommation, que les bestiaux ont du débit, & qu’on les multiplie, & c’est l’engrais que les bestiaux fournissent à la terre qui procure d’abondantes récoltes par la multiplication même des bestiaux. Cette abondance de récolte & de bestiaux éloigne toute inquiétude de famine dans un royaume si fécond en subsistance. La nourriture que les bestiaux y fournissent aux hommes, y diminue la consommation du bled, & la nation peut en vendre une plus grande quantité à l’étranger, & accroître continuellement ses richesses par le commerce d’une production si précieuse. L’aisance du menu peuple contribue donc par là essentiellement à la prospérité de l’état.

Le profit sur les bestiaux se confond avec le profit sur la culture à l’égard des revenus du propriétaire, parce que le prix du loyer d’une ferme s’établit à raison du produit qu’elle peut donner par la culture & par la nourriture des bestiaux, dans les pays où les avances des fermiers ne sont pas exposées à être enlevées par un impôt arbitraire. Mais lorsque l’impôt est établi sur le fermier, le revenu de la terre tombe dans le dépérissement, parce que les fermiers n’osent faire les avances des achats de bestiaux, dans la crainte que ces bestiaux, qui sont des objets visibles, ne leur attirent une imposition ruineuse. Alors, faute d’une quantité suffisante de bestiaux pour fournir les engrais à la terre, la culture dépérit, les frais des travaux en terres maigres absorbent le produit net, & détruisent le revenu.

Le profit des bestiaux contribue tellement au produit des biens fonds, que l’un s’obtient par l’autre, & que ces deux parties ne doivent pas être séparées dans l’évaluation des produits de la culture, calculée d’après le revenu des propriétaires ; car c’est plus par le moyen des bestiaux qu’on obtient le produit net qui fournit le revenu & l’impôt, que par le travail des hommes qui seul rendroit à peine les frais de leur subsistance. Mais il faut de grandes avances pour les achats des bestiaux, c’est pourquoi le gouvernement doit plus attirer les richesses à la campagne que les hommes : on n’y manquera pas d’hommes s’il y a des richesses ; mais sans richesses tout y dépérit, les terres tombent en non-valeur, & le royaume est sans ressource & sans forces.

Il faut donc qu’il y ait une entiere sûreté pour l’emploi visible des richesses à la culture de la terre, & une pleine liberté de commerce des productions. Ce ne sont pas les richesses qui font naître les richesses, qui doivent être chargées de l’impôt. D’ailleurs les fermiers & leurs familles

  1. Voyez ce que nous avons dit plus haut sur l’impôt.