Page:Encyclopédie méthodique - Economie politique, T01.djvu/78

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

revenu & de l’impôt, à n’affermer leurs terres qu’à des riches fermiers ; cette précaution assureroit le succès de l’agriculture. Les fermiers n’ayant plus d’inquiétude sur l’imposition, pendant le cours de leurs baux, se multiplieroient ; la petite culture disparoîtroit successivement ; les revenus des propriétaires & l’impôt s’accroîtroient à proportion, par l’augmentation des produits des biens-fonds cultivés par des riches laboureurs.

Il y a eu une nation qui a su affermir sa puissance & assurer sa prospérité, en exemptant la charue de toute imposition. Les propriétaires, charges eux-mêmes de l’impôt, souffrent, dans les temps de guerre, des subventions passagères ; mais les travaux de la culture des terres n’en sont point ralentis, & le débit & la valeur vénale des biens-fonds sont toujours assurés par la liberté du commerce des denrées du crû. Aussi, chez cette nation, l’agriculture & la multiplication des bestiaux ne souffrent aucune dégradation pendant les guerres les plus longues & les plus dispendieuses : les propriétaires retrouvent à la paix leurs terres bien cultivées & bien entretenues, & leurs grands revenus bien maintenus & bien assurés. Il est aisé par-là d’appercevoir la différence qu’il y a entre un impôt exorbitant & un impôt spoliatif ; car, par la forme de l’imposition, un impôt peut être spoliatif sans être exorbitant, ou peut être exorbitant sans être spoliatif.

VI.

Que les avances des cultivateurs soient suffisantes pour faire renaître annuellement, par les dépenses de la culture des terres, le plus grand produit possible ; car si les avances ne sont pas suffisantes, les dépenses de la culture sont plus grandes à proportion, & donnent moins de produit net.


NOTE.
(Que les avances de la culture soient suffisantes.)

Il faut remarquer que les terres les plus fertiles seroient nulles, sans les richesses nécessaires pour subvenir aux dépenses de la culture, & que la dégradation de l’agriculture dans un royaume ne doit pas être imputée à la paresse des hommes, mais à leur indigence. Si les avances de la culture ne donnoient que peu de produit net, par erreur de gouvernement, il y auroit de grands frais, peu de revenu, & une population qui ne seroit presque qu’en menu peuple, occupé dans les campagnes, sans profit pour l’état, à une mauvaise culture qui le feroit subsister misérablement.

Autrefois dans tel royaume les avances annuelles ne faisoient renaître de produit net, du fort au foible, l’impôt sur le laboureur compris, qu’environ vingt-cinq pour cent, qui se distribuoient à la dixme, à l’impôt & au propriétaire : distraction faite des reprises annuelles du laboureur. Si les avances primitives avoient été suffisantes, la culture auroit pu y rendre aisément cent de produit net & même davantage pour cent d’avances annuelles. Ainsi la nation souffroit un deficit des quatre cinquièmes au moins sur le produit net de ses avances annuelles, sans compter la perte sur l’emploi & le revenu des terres qui suppléoient elles-mêmes aux frais d’une pauvre culture, & qu’on laissoit en friche alternativement pendant plusieurs années pour les réparer, & les remettre en état de produire un peu de récolte. Alors la plus grande partie des habitans étoit dans la misère, & sans profit pour l’état. Car tel est le produit net des avances au-delà des dépenses ; tel est aussi le produit net du travail des hommes qui le font naître : & tel est le produit net des biens-fonds, tel est le produit net pour le revenu, pour l’impôt & pour la subsistance des différentes classes d’hommes d’une nation. Ainsi plus les avances sont insuffisantes, moins les hommes & les terres sont profitables à l’état. Les colons qui subsistent misérablement d’une culture ingrate, ne servent qu’à entretenir infructueusement la population d’une pauvre nation.

L’impôt dans ce royaume étoit presque tout établi arbitrairement sur les fermiers, sur les ouvriers & sur les marchandises. Ainsi il portoit directement & indirectement sur les avances des dépenses de la culture, ce qui chargeoit les biens fonds d’environ trois cents millions pour l’impôt ordinaire, & autant pour la régie, les frais de perception, &c. Et les produits du sol ne rendoient plus à la nation, dans les derniers temps, à en juger par le dépouillement de la taxe d’un dixième sur les fonds productifs, & par l’examen du produit des terres, qu’environ quatre cents millions de revenu net, y compris la dixme & les autres revenus ecclésiastiques : triste produit d’un grand & excellent territoire, & d’une grande & laborieuse population ! L’exportation des grains étoit défendue ; la production étoit bornée à la consommation de la nation ; la moitié des terres restoient en friches, on défendoit d’y planter des vignes ; le commerce intérieur des grains étoit livré à une police arbitraire, le débit étoit continuellement interrompu entre les provinces, & la valeur vénale des denrées toujours incertaine.

Les avances des dépenses productives étoient enlevées successivement par l’impôt arbitraire & par les charges indirectes, à l’anéantissement de la réproduction & de l’impôt même ; les enfans des laboureurs abandonnoient les campagnes ; le sur-faix de l’impôt sur les denrées en haussoit le prix naturel, & ajoutoit un surcroît de prix onéreux aux marchandises & aux frais de salaire dans les dépenses de la nation ; ce qui retomboit encore en déchet sur les reprises des fermiers, sur le produit net des biens fonds, & sur l’impôt, sur la