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en perte sur le revenu des biens-fonds, & conduiroit rapidement à la destruction de l’impôt. On doit penser de même des taxes qu’on imposeroit sur les marchandises ; car elles tornberoient aussi en pure perte sur le revenu, sur l’impôt & sur les dépenses de la culture, & exigeroient des frais immenses qu’il seroit impossible d’éviter dans un grand état.

Cependant ce genre d’imposition est forcément la ressource des petits états maritimes, qui subsistent par un commerce de trafic, nécessairement assujetti à l’impôt dans ces états qui n’ont point de territoire. Et il est encore presque toujours regardé comme une source momentanée dans les grands états, lorsque l’agriculture y est tombée dans un tel dépérissement, que le revenu du territoire ne pourroit plus subvenir au payement de l’impôt. Mais alors cette ressource insidieuse est une surcharge qui réduit le peuple à une épargne forcée sur la consommation, qui arrête le travail, qui éteint la reproduction, & qui achève de ruiner les sujets & le souverain.

On a souvent parlé de l’établissement de l’impôt payé en nature par la récolte en forme de dixme : ce genre d’imposition seroit, à la vérité, proportionnel au produit total de la récolte, les frais compris ; mais il n’auroit aucun rapport avec le produit net : plus la terre seroit médiocre, & plus la récolte seroit foible, plus il seroit onéreux, injuste & désastreux.

L’impôt doit donc être pris immédiatement sur le produit net des biens-fonds : car, de quelque manière qu’il soit imposé dans un royaume qui tire ses richesses de son territoire, il est toujours payé par les biens-fonds. Ainsi la forme d’imposition la plus simple, la plus réglée, la plus profitable à l’état & la moins onéreuse aux contribuables, est celle qui est établie proportionnellement au produit net, & immédiatement à la source des richesses continuellement renaissantes.

L’établissement simple de l’imposition à la source des revenus, c’est-à-dire, sur le produit net des terres qui forme le revenu de la nation, devient fort difficile dans un royaume où, faute d’avances, l’agriculture est tombée en ruine ; ou du moins dans une telle dégradation, qu’elle ne peut se prêter à aucun cadastre fixe & proportionné aux qualités des terres qui sont mal cultivées, & dont le produit, devenu très-foible, n’est qu’en raison de l’état misérable de la culture ; car l’amélioration de la culture, qui pourroit résulter d’une meilleure administration, rendroit aussi-tôt le cadastre très-irrégulier.

Une imposition établie également sur les terres, sur leurs produits, sur les hommes, sur leur travail, sur les marchandises & sur les animaux de service, présenteroit une gradation de six impositions égales, posées les unes sur les autres, portant toutes sur une même base, & néanmoins payées chacune à part, mais qui toutes ensemble fourniroient beaucoup moins de revenu au souverain qu’un simple impôt réel, établi uniquement & sans frais sur le produit net, & égal dans sa proportion à celle des six impositions qu’on pourroit regarder comme réelle. Cet impôt indiqué par l’ordre naturel, & qui augmenteroit beaucoup le revenu du souverain, coûteroit cependant cinq fois moins à la nation & à l’état que les six impositions ainsi répétées, lesquelles anéantiroient tous les produits du territoire & sembleroient exclure tout moyen de rentrer dans l’ordre. Car les impositions illusoires pour le souverain, & ruineuses pour la nation, paroissent aux esprits vulgaires, de plus en plus inévitables à mesure que le dépérissement de l’agriculture augmente.

Cependant il faut au moins commencer par supprimer au plutôt les impositions arbitraires établies sur les fermiers des terres ; sans quoi ce genre d’imposition ruineuse acheveroit d’anéantir entiérement les revenus du royaume. L’imposition sur les biens-fonds la plus difficile à régler, est celle qui s’établit sur la petite culture, où il n’y a pas de fermage qui puisse servir de mesure, où c’est le propriétaire même qui fournit les avances, & où le produit net est très-foible & fort incertain. Cette culture qui s’exécute par des métayers dans les pays où l’impôt a détruit les fermiers, & qui est la dernière ressource de l’agriculture ruinée, exige beaucoup de ménagement ; car un impôt un peu onéreux enlève ses avances & l’anéantit entiérement. Il faut donc bien distinguer les terres réduites à cette petite culture, & qui, à proportion du produit, sont labourées à grands frais & souvent sans aucun profit, d’avec celles où la grande culture s’exécute par de riches fermiers, lesquels assurent aux propriétaires un revenu déterminé qui peut servir de règle exacte pour une imposition proportionnelle. Imposition qui doit être payée par le propriétaire & non par le fermier, si ce n’est en déduction du fermage, comme cela arrive naturellement lorsque le fermier est instruit, avant de passer son bail, de la quotité de l’impôt. Si les besoins de l’état y nécessitent des augmentations, elles doivent être uniquement à la charge des propriétaires ; car le gouvernement seroit en contradiction avec lui-même, s’il exigeoit que les fermiers remplissent les engagemens de leurs baux, tandis que, par l’impôt imprévu dont il les chargeroit, il les mettroit dans l’impossibilité de satisfaire à ces engagemens. Dans tous les cas, le payement de l’impôt doit être garanti par la valeur même des biens-fonds, & non par celle des richesses d’exploitation de la culture, qui ne peuvent, sans déprédation, être assujetties à aucun service public, autre que celui de faire renaître les richesses de la nation & du souverain, & qui ne doivent jamais être détournées de cet emploi naturel & nécessaire. Les propriétaires, fixés à cette règle par le gouvernement, seroient attentifs, pour la sûreté de leur