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ger qu’au commerce & aux colonies ; encore faut-il qu’elle ne veuille pas trop étendre ses colonies, lorsqu’elle ne les fonde pas sur des îles. L’Amérique qu’elle vient de perdre, lui a donné une grande leçon. Elle a fait de vastes conquêtes en Asie ; mais au lieu de les étendre davantage, qu’elle songe à les resserrer. Elle triomphera peut-être toujours de la foiblesse des peuples de l’Inde ; mais elle succombera, si elle n’y prend garde ; sous le poids seul de ses vastes établissemens. Voyez l’art. Bengale, Coromandel.

La France est dans son état actuel, un royaume si puissant & si riche, qu’avec une bonne administration elle peut se défendre contre tous les peuples de l’Europe, & jouer un rôle très-distingué parmi les puissances. En reculant ses frontières, elle n’ajoutera pas à sa force ; & si l’ambition de ses voisins l’y détermine, elle doit s’arrêter à propos.

On ne conçoit pas que la Russie cherche à s’aggrandir ; s’il est permis de le dire, l’étendue de ses domaines est déja monstrueuse, & il est impossible qu’elle n’éprouve pas un démembrement dans le siècle prochain. La souveraine qui régit cet empire de trois ou quatre mille lieues, a trop de génie pour ne pas le voir ; & si elle en forme le projet, ce grand dessein tient sans doute à d’autres vues.

On parle beaucoup de l’équilibre des puissances de l’Europe ; malheureusement depuis qu’on en parle le plus, on a vu les puissances rédoubler d’efforts pour le détruire.

La grandeur d’un état se mesure par l’étendue de son territoire & de ses revenus, par le nombre de ses habitans, par la quantité de ses villes & la force de ses places. Il y a des empires si grands qu’ils ne peuvent que se démembrer ; d’autres si heureusement bornés, qu’ils doivent se maintenir dans leur constitution naturelle.

Au reste, un état qui veut s’aggrandir, doit prendre garde au corps de sa noblesse, car si elle vient à opprimer le peuple, il arrivera ce qu’on voit dans les forêts ou les arbres de haute futaye étouffent les rejettons : la population de l’état augmentera vainement ; il ne sera pas plus fort. L’Angleterre ne se soutient que par la force du bas peuple. Elle a, sous ce rapport, un avantage visible sur les pays voisins, où un maigre paysan ne peut faire un robuste soldat.

Lorsqu’on veut s’aggrandir & fonder des colonies, il est nécessaire de bien examiner les moyens qu’on emploie. L’Espagne avec ses colonies s’est épuisée d’habitans ; elle a beaucoup d’or & peu de soldats. Est-il raisonnable d’envoyer la lie du peuple dans un pays de conquête ? Ces misérables porteroient la corruption dans les climats éloignés, si elle n’y étoit pas. Des brigands & des fainéans qui désoloient ou surehargeoient leur patrie, peuvent-ils s’accoutumer au travail & à la discipline, sous un ciel étranger, dans un séjour de licence & d’impunité ? En recevra-t-on des nouvelles agréables, qui encouragent les honnêtes gens à s’expatrier ? Et ce qui gâte les colonies, c’est l’envie démesurée d’en recueillir d’abord le profit ; & il én est comme de la plantation des arbres, dont on ne peut juger qu’après vingt ans.

Il ne faut pas raisonner d’un état comme d’un fonds de terre. Un particulier songe à s’arrondir dans son domaine, mais un prince doit faire attention à la solidité plutôt qu’à la proximité de ses conquêtes. On a cet avantage en portant la guerre au loin, qu’on va combattre des ennemis à demi-vaincus par l’étonnement d’une haute entreprise, & par le peu de connoissance qu’ils ont de vos forces, au lieu qu’on est tous les jours à s’essayer avec ses voisins, & qu’après avoir beaucoup pris, il faut tout rendre. Dans ces guerres éloignées, l’appareil extraordinaire des armées, la difficulté de l’expédition, la honte d’échouer, & le désespoir de la retraite, mettent le général & le soldat dans la nécessité de vaincre. L’occasion de faire la guerre à ses voisins renaît souvent, mais rarement est-elle assez avantageuse ; au lieu qu’un conquérant peut saisir des conjonctures favorables, pour attaquer des nations étrangères, comme des temps de relâchement & de décadence, le moment d’une conjuration, les suites d’une guerre longue & ruineuse.

Un état conquérant doit être belliqueux par principe : l’esprit de cet état, c’est la guerre ; la principale profession du peuple, est celle des armes, & sa gloire n’est que dans ses trophées. C’est une vérité reconnue, qu’une nation dévouée à la guerre par la nature de son génie & de ses loix, empiétera sur les nations voisines, & les subjuguera tôt ou tard ; il faut qu’un pareil état ait dans sa constitution des raisons toujours prêtes de faire la guerre ; car il reste encore assez d’équité dans le cœur des hommes, pour qu’on n’ose rien entreprendre ouvertement, sans quelque prétexte spécieux de justice. Les Mahométans ont toujours le zèle de l’alcoran à la main, pour prendre les armes, quand leur intérêt parle. Mais on a contre eux l’injustice du despotisme & de la tyrannie, qui soulève l’humanité en faveur de la liberté des peuples. Nous parlerons ailleurs des motifs raisonnables qu’on peut assigner. Voyez les articles Conquête & Guerre.

AGRAIRE, adj. qui concerne les champs.

Le mot agraire n’est guères connu de nous que par les fastes du peuple le plus renommé qui fut, & qui sera jamais. La loi agraire ou les loix agraires furent long-temps dans Rome la pomme de discorde, & comme le présage de l’éruption du feu de la guerre civile qui couva toujours dans le sein de cette république de conquérans.

Le gouvernement de plusieurs ou de la république ne convient en quelque sorte qu’à une ville,