Page:Encyclopédie méthodique - Economie politique, T01.djvu/391

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bien particulier, qui consiste dans la liberté & les bonnes mœurs ; si le gouvernement paroît n’avoir à faire en cela qu’à donner force à la justice, protection au droit d’un chacun, & ne devoir opérer sur les mœurs que par l’exemple & la rigide économie, il semble que le bonheur des états lui demande plus d’action, & soit plus directement sous sa main. Toutefois notre imagination est un mauvais guide dans les choses de fait ; & ces idées, grandes & compliquées, qui toutes ou en grande partie, sont de notre création, doivent être décomposées ; & je le répète, réduites au simple si l’on veut trouver le vrai, & ne point s’en écarter.

Des auteurs chinois, écrivains révérés chez un peuple qu’on ne sauroit trop citer en cette matière, puisqu’il a toujours fait sa principale & presque son unique étude de l’économie politique, c’est-à-dire, de la science du bonheur des sociétés ; des auteurs chinois disent : Les anciens rois sans sceptre & sans couronne, gouvernoient l’univers sans le gouverner : ils le portoient, c’est-à-dire, qu’ils unissoient tous les hommes par les liens de la bonté, de la droiture, & par des mœurs simples formées sur l’exemple du souverain. J’entends-bien, dit Ouang-Tse, ce que c’est que porter le monde dans son cœur, mais je n’entends pas ce que c’est que gouverner le monde. Belles paroles d’un grand & sage empereur ; belles leçons pour les gouvernemens inquiets & novateurs, qui pensent que tout doit se faire par ordonnance, qui prennent le pouvoir de détruire pour celui de créer, heureux si, comme dans plusieurs, leur plein pouvoir s’évapore en feuilles volantes qui ne produisent aucun effet ; car sans cela il leur arriverait presque toujours d’attenter, de leurs propres mains, à la durée de la société, qui doit être l’objet principal & sommaire du pouvoir préposé au bonheur des états.

Le meilleur des gouvernemens est celui qui ressemble le plus au gouvernement du ciel, qui ne se montre que dans ses effets, tous tendans à la perpétuité & à la durée par l’action régulière & constante de ses grands ressorts.

Dire que le bonheur des états dépend du bonheur du peuple, comme on a dit que le bien public n’étoit que le bien particulier, paroîtroit s’en tenir à généraliser les choses, tandis qu’il faut les ramener au simple, pour ne pas se perdre dans les détails. Quelles sont les conditions qui doivent procurer l’avancement, les succès & la durée d’une association ? C’est que tous & chacun des associés sachent, puissent & veuillent bien faire la portion de la chose qui leur est dévolue, & qui les concerne. Les états ne sont qu’une association plus étendue : c’est le cas de leur appliquer cette règle. Nous avons vu que l’objet de la première société, & par une suite naturelle, que celui de toute autre fut l’avantage des associés. On peut donc encore le dire ici de tous les états ; nous avons vu que le bien des associés faisoit le bien public, & le bonheur des états par conséquent. Le gouvernement donc, qui paroît plus spécialement chargé du bonheur des états, ne peut néanmoins opérer ce bonheur que par les mêmes conditions qui firent le succès de la première société, je veux dire par le concours des co-associés.

Cette importante vérité étoit vivement sentie dans les premiers temps, parce que les conditions de leur réunion récente, étoient plus présentes à leur esprit, que la nécessité est le principal aiguillon de notre intelligence, & qu’ils étoient plus près du besoin & de la nature. Les hommes connoissoient ce qu’ils avoient à faire pour opérer le bien ; ils savoient ce qu’ils pouvoient opposer au mal, ils pouvoient faire le bien à leur portée ; ils pouvoient éviter ou réprimer le mal présent : les hommes enfin vouloient faire le bien, si l’on peut parler ainsi, attenant leur propre bien : ils vouloient obvier au mal visible, & qui les menaçoit de près : mais à mesure que la société s’est étendue, elle s’est compliquée d’une multitude de ressorts trop distans de leur premier mobile. L’arbre politique, parvenu à sa pleine hauteur, s’est chargé d’un grand nombre d’excroissances parasites, qui ne reconnoissent plus ni la tige ni le tronc, & qui, à plus forte raison, ignorent absolument les racines. La confusion des intérêts a entraîné la confusion des idées ; la cupidité s’est armée de la violence, l’erreur s’est associée à la fraude, & le bien & le mal politique se sont séparés du bien & du mal moral & naturel.

Cependant la nature ne prend point le change ; elle permet aux hommes de se faire des simulacres de puissance, des fantômes de prospérité, de se laisser séduire par l’espoir trompeur de jouissances passagères, de s’égarer enfin dans la poursuite de ces objets dont l’aspect les éblouit, & qui n’ont pourtant que des bases de spoliation & de ruine. Mais tout cela passe comme une nuée orageuse, que quelques rayons d’un jour baissant parent de couleurs mensongères, & qui ne laissent après elles que fange, dommage & désolation.

Le vrai bonheur ne se trouve que sur la voie de l’ordre ; il embrasse le jour comme la veille, & le lendemain comme le jour. Cette voie demande qu’on rappelle tous les hommes à connoître, à pouvoir, & à vouloir le bien des sociétés, le bonheur des états. Je l’ai dit, & je le répète : les premiers instituteurs jetèrent de grandes bases, parce qu’éprouvés déjà par l’expérience des calamités, ils trouvoient dans le concours social, les lumières & les forces qui leur étoient nécessaires pour fonder. Si leurs successeurs n’ont fait souvent que pallier les inconvéniens de détail, méthode infaillible de les multiplier, c’est que leurs erreurs & leur impuissance, ont été causées par la privation de ces secours essentiels où les mettoit le défaut du concours social, & que leurs courtisans intéressés ne leur ont offert que des piéges.

Quand donc il seroit possible de faire une cons-