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maintenant de potter les bleds aux nations qui en manquent ».

« Si l’on parcourt quelques-unes des provinces de la France, on trouve que non-seulement plusieurs de ses terres restent en friche, qui pourroient produire des bleds ou nourrir des bestiaux ; mais que les terres cultivées ne rendent pas à beaucoup près à proportion de leur bonté ; parce que le laboureur manque de moyens pour les mettre en valeur ».

» Ce n’est pas sans une joie sensible que j’ai remarqué dans le gouvernement de France, un vice dont les conséquences sont si étendues, & j’en ai félicité ma patrie ; mais je n’ai pu m’empêcher de sentir en même-temps combien formidable seroit devenue cette puissance, si elle eût profité des avantages que ses possessions & ses hommes lui offroient. O sua si bona norint[1] » !

Il n’y a donc que ks nations où la culture est ì bornée à leur propre subsistance , qui doivent ’ redouter ks famines. -H semble au contraire que dans le cas d’un commerce libre des grains, on pourroit craindre un effet tout opposé. L’abon- ; dance des productions que procurerait en France : l’agriculture portée à un haut degré , ne pourroit-elle pas les faire tomber en non -valeur ? On peut s’épargner cette inquiétude ; la. position de ce royaume, ses ports, ses rivières qui le traversent de toutes parts, réunissent tous ks avantages pour, le còmme’rce : tout favorise le transport & kdébi.t de sesdenrées. Les succès de l’agriculture y rétabliroit la population ;& l’aifance ; la consommation de toute eípèce de productions premières & fabriquées, qui augmenterait avec k nombre des habitans, n% laisserait que le petit superflu qu’on pourroit vendre à l’étranger. II est vrai qu’on pourroit redouter la fertilité des colonies de l’Âmenqu. e, & l’accroissement dé l’agriculture dans ce nouveau monde, mais la qualité des grains en France est si supérieure à celle des grains qui naissent dans ce pays-là, & même dans leb. outres ,’ que nous ne devonsypas craindre f égalité de concurrence ; ils donnent moins de farine, & elle est moins bonne. Celk des colonies qui passe les inérs-se’dëpravefacilement, & nerpeut se conserver que fort peu Ae temps : celk qu’on exporte de France est préférée, parce qu’elle est plus profitable , qu’elle fait de meilleur pain, 8c qu’on peut la garder long- temps. Ainsi nos bleds 8c nos farines seront toujours mieux vendus à l’étranger. . Mais une autre raison .qui doit tranquilliser, c’est que l’agriculture ne .peut pas augmenter dans les colonies, fans que la population.8c la consommation des grains n’y augmentent à proportion ; ainsi leur superflu n’y augmentera pas en raison de l’accroissement de l’agriculture.

Le défaut de débit & la non-valeur des denrées, qui ruinent nos provinces., ne sont que l’effet. de la-misère du peuple, & des empêchemens qu’on oppose au commerce-de nos productions. On voit tranquillement dans plusieurs provinces les denrées fans débit.& fans valeur ; on attribue ces désavantages à 1’abscnce des riches, qui ont abandonné ks provinces pour se retirer à la-cour & dans ks grandes villes ; ón souhaiterait seulement que les évêques, ks gouverneurs des pro=-Vinces, & tous ceux qui,-par leur état, devraient y résider, y consommassent effectivement leurs revenus ; mais ces idées sont trop bornées ; ne voít-on pas que ce neseroit pas augmenter la consommation dans le royaume, que ce né .seroit que la transporter des endroits où elle se fait avec profusion , dans d’autres où elk sc ferait avec économie ? Ainsi cet expédient, loin d’augmenter

  1. Si malgré des raisons si décisives, on avoit encore de l’inquiétude sur les disettes dans le cas d’exportation, il est facile de se rassurer ; car on peut, en permettant l’exportation, permettre aussi l’importation des bleds étrangers sans exiger des droits : par là le prix du bled ne pourra pas être plus haut chez nous que chez les autres nations qui en exportent. Or, on sait par une longue expérience qu’elles sont dans l’abondance & qu’elles éprouvent rarement des chertés ; ainsi la concurrence de leurs bleds dans notre pays empécheroit nos marchands de fermer leurs greniers, dans l’espérance d’une cherté, & l’inquiétude du peuple ne feroit point augmenter le prix du bled, par la crainte de la famine, ce qui est presque toujours l’unique cause des chertés excessives ; mais quand on le voudra de telles causes disparaîtront à la vue des batteaux de bleds étrangers qui arriveroient à Paris. Les chertés n’arrivent toujours que par le défaut de liberté dans le commerce du bled. Les grandes disettes réelles sont très-rares en France, & elles le sont encore plus dans les pays ou la liberté du commerce du bled soutient l’agriculture. En 1709, la gelée fit par-tout manquer la récolte ; le septier de bled valoit en France, cent livres de notre monnoie actuelle, & on ne le vendoit en Angleterre que quarante-trois livres, ou environ le double du prix ordinaire dans ces temps-là : ainsi ce n’étoit pas pour la nation une grande cherté. Dans la disette de 1653 & de 1694, le bled coûtoit moitié moins en Angleterre, quoique l’exportation ne fût établie en Angleterre que depuis trois ou quatre ans ; avant cette exportation, les Anglois essuyoient souvent de grandes chertés, dont nous profitions par la liberté du commerce de nos grains. Sous les règnes d’Henri IV, de Louis XIII, & dans les premier temps du règne de Louis XIV, l’abondance & le bon prix entretenoient les richesses de la nation ; car le prix commun du bled en France étoit souvent 25 liv. & plus de notre monnoie ; ce qui formoit annuellement une richesse dans le royaume de plus de trois milliards qui, réduits à la monnoie de ces temps-là, étoient environ 1 200 millions. Cette richesse est diminuée aujourd’hui de 5 sixièmes. L’exportation ne doit pourtant pas être illimitée ; il faut qu’elle soit comme en Angleterre interdite, lorsque le bled passe un prix marqué par la loi. L’Angleterre vient d’essuyer une cherté, parce que le marchand est contrevenu à cette règle par des abus & des monopoles que le gouvernement a tolerés, & qui ont toujours de funestes effets ; dans un état qui a recours à des ressources si odieuses : ainsi la nation a éprouvé une cherté dont l’exportation même l’avoit préservée depuis plus de 60 ans. En France, les famines sont fréquentes, parce que l’exportation du bled y étoit souvent défendue, & que l’abondance est autant désavantageuse aux fermiers que les disettes sont funestes aux peuples. Le prétexte de remédier aux famines dans un royaume, en interceptant le commerce des grains entre les provinces, donne encore lieu à des abus qui augmentent la misère, qui détruisent l’agriculture, & qui anéantissent les revenus du royaume.