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entre le peuple & ses magistrats ou son roi, au lieu que le pouvoir arbitraire renverse tout cela. Voyez l’article Pouvoir arbitraire.

Comme on emploie le mot de pouvoir absolu pour exprimer le pouvoir des monarques qui sont revêtus de toute la puissance de l’état, il est bon de montrer que, sous cette acception, le pouvoir absolu est dangereux ; qu’il importe de le limiter par les loix. Si l’on parcourt l’histoire de tous les états, depuis l’origine des sociétés jusqu’à nos jours, on ne trouve qu’un peuple qui ait donné, de son propre mouvement, & d’après une mûre délibération, une puissance absolue à son souverain. Les premières monarchies de l’antiquité étoient très-modérées, & la nation y exerçoit souvent la puissance législative. Tous les royaumes modernes, & en particulier ceux que les germains & les autres nations du nord fondèrent en Angleterre, en France, en Italie, en Espagne & en Afrique, ont eu d’abord des rois qui partagèrent la puissance souveraine avec leurs sujets. C’est par les conquêtes, c’est par l’abus que les souverains font de leur pouvoir qu’ils acquièrent une autorité absolue : elle ne tarde pas à devenir funeste aux peuples. Il suffit qu’elle passe des mains d’un homme juste dans celles d’un prince corrompu. La monarchie absolue fait dépendre la liberté & le bonheur des peuples de la volonté d’un seul homme ; il est mille événemens inopinés qui peuvent alors les plonger dans le dernier malheur.

Lorsque le Danemarck donna librement un pouvoir absolu à son souverain, il falloit que l’état fût dans une crise bien terrible ; il falloit que la noblesse exerçât sur le peuple un empire bien dur, pour que la nation se déterminât à une démarche si dangereuse. On doit en convenir, cette renonciation par laquelle les danois ont consacré leur servitude, ne leur a pas encore été préjudiciable. La puissance la plus formellement absolue de l’univers, la seule de cette nature qui soit fondée sur un contrat social, n’a pas produit jusqu’ici un gouvernement plus violent ou moins doux que celui des monarchies tempérées ; mais enfin les danois doivent trembler, si un mauvais prince monte sur le trône. Frédéric III, en publiant les loix qu’il nomma loix royales, défendit à ses successeurs d’y rien changer ; cette défense extraordinaire ne peut rassurer cette nation ; & chaque roi de Danemarck, en prenant la couronne, a droit de l’enfreindre.

C’est donc une vérité générale que, si un monarque réunit tous les attributs de la souveraine puissance, ce despote est trop redoutable. Combien le pouvoir d’un juge n’est-il pas terrible, lorsque rien ne peut l’arrêter que la bonté de son propre cœur, & lorsqu’il peut faire sans cesse des loix nouvelles, & changer les loix fondamentales sous le moindre prétexte ? Combien la puissance exécutrice n’est-elle pas à craindre, quand elle se trouve dans les mains d’un homme qui, chargé tout à la fois de la législation & de l’administration de la justice, peut à tout moment rendre criminelles les actions les plus indifférentes ? Quelle liberté reste-t-il aux citoyens ? Les plus zélés partisans du pouvoir absolu avouent que si le prince n’est pas doué d’une sagesse profonde, la nation est exposée aux plus grands malheurs. Le cardinal de Richelieu préfère la puissance illimitée d’un seul à toutes les autres formes de gouvernement, comme on peut s’en convaincre par la lecture du testament politique qui lui est attribué ; mais il exige tant de vertu, d’équité, de pénétration & de sagesse dans un monarque absolu & dans ses ministres, qu’il demande des choses impossibles, & l’exemple de son administration n’est guères propre à rassurer les peuples.

Il est d’autant plus essentiel de mettre des bornes au pouvoir absolu, qu’il est de sa nature de toujours faire des progrès. Les hommes les plus sages & les plus vertueux sont portés à augmenter leur empire, & ils l’augmentent jusqu’à ce qu’ils trouvent des barrières. Ils imaginent de bonne foi que plus ils auront d’autorité, plus ils feront de bien : ainsi les mieux intentionnés se laissent séduire, & il importe de les surveiller. Mais les bornes qu’il est nécessaire d’établir ici, doivent être posées avec discrétion.

1o. Il faut qu’elles ne gênent point celui qui est revêtu du pouvoir dans l’exercice de son autorité, c’est-à-dire que, malgré les bornes légitimes de son pouvoir, il soit libre & maître d’employer, avec toute la promptitude requise, chacun des moyens qui contribueront à la sûreté & à la prospérité de l’état. On doit bien examiner ce point ; la loi qui empêcheroit l’individu ou le corps revêtu du pouvoir souverain de rien exécuter de salutaire, à moins qu’une armée ne parût sur la frontière, seroit très-défectueuse.

2o. Il faut qu’elles assurent la liberté de l’état & celle des citoyens, & qu’elles ne livrent pas tout le peuple à la merci d’une faction. En Suéde, avant la dernière révolution, toute faction qui parvenoit à s’assurer de la pluralité des voix dans la diète, exerçoit une puissance souveraine ; elle étoit autorisée par les loix à délibérer & statuer sur chacun des intérêts de l’état, à traiter avec les puissances étrangères, à faire la guerre & la paix, à disposer des troupes, & l’on apperçoit les vices de cet arrangement.

3o. Enfin il faut que ces bornes soient durables par leur nature, & assez fortes pour réprimer constamment les usurpations. Il convient de mettre des barrières fixes à chaque portion de la puissance, de manière qu’il ne reste aucun prétexte pour entreprendre sur le droit des autres. Ces limites bien posées établiront le juste équilibre qui doit être entre les deux principales branches de la souveraineté des gouvernemens modérés, c’est-à-dire, entre la puissance législative & la puissance exécu-