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fille du régent. Le 15 janvier 1724, lorsque Philippe crut ce prince en état de gouverner par lui-même, il fit remettre au conseil la lettre que voici :

« Ayant considéré depuis quatre ans, avec maturité & réflexion, toutes les miseres de cette vie, les maladies, les guerres & les afflictions que Dieu m’a envoyées durant les vingt-trois années de mon règne, & considérant aussi que mon fils ainé don Louis, reconnu prince d’Espagne, a l’âge suffisant & la capacité, le jugement & les talens nécessaires pour régir & gouverner cette monarchie ; j’ai résolu de renoncer, en faveur de mon susdit fils ainé don Louis, à tous mes états, royaumes & seigneuries, & de me retirer avec la reine, en qui j’ai trouvé une volonté prompte & parfaite de m’accompagner dans ce palais de S. Ildefonse pour y servir Dieu, &, débarassé de tout autre soin, penser à la mort & à mon salut. Je le fais savoir au conseil, afin qu’il en soit informé, & que cette résolution parvienne à la connoissance de tous ».

Le roi avoit fait savoir, dès la veille, ses intentions au prince des Asturies, auquel on avoit remis une copie signée du décret qu’on vient de lire. Il fut publié dans le conseil & dans tous les tribunaux. Mais les états généraux ne furent ni convoqués, ni assemblés, ni consultés, de sorte que n’ayant pas reçu formellement l’abdication de Philippe, ils la regardèrent comme nulle ; ils s’abstinrent néanmoins de le dire. Dom Louis fut proclamé roi dans le conseil dès le lendemain, en présence de plusieurs grands appellés à cette cérémonie ; Philippe accompagna son abdication d’un vœu solemnel de ne jamais remonter sur le trône.

Louis I ne vécut que quelques mois. Les conseils assemblés supplièrent Philippe de reprendre la couronne. La nation desiroit qu’il remontât sur le trône. Le nonce du pape & l’ambassadeur de France lui firent les plus vives prières de la part de leurs maîtres. La jeune reine & les ministres alléguoient les raisons d’état les plus décisives. Il fallut, pour achever de vaincre Ia résistance de Philippe, qu’une assemblée de théologiens déclarât que son vœu étoit nul, qu’il y auroit de l’injustice à l’observer, & que le roi étoit obligé de prévenir les maux que pouvoit causer la longue minorité de l’infant don Ferdinand. D’autres théologiens ayant été d’un avis contraire, Philippe fut très-embarrassé. Enfin le salut de l’état, qui est la loi suprême, l’emporta. Le 6 de Septembre Philippe envoya le décret suivant au conseil de Castille.

« Quoique j’eusse bien résolu de ne point quitter ma retraite, le conseil m’ayant fait, dans la derniere consulte, & dans celle du 4 du présent mois de septembre, de vives instances de reprendre le gouvernement de cette monarchie, & de m’en charger de nouveau comme roi naturel & propriétaire ; m’ayant représenté en outre que je suis obligé en conscience & en toute justice de remonter sur le trône, j’ai résolu, pour témoigner publiquement les égards que m’inspireront toujours les décisions dudit conseil, le zèle & la constante affection des membres qui le composent, de me sacrifier au bien général de cette monarchie & de ses habitans ; &, pour satisfaire au devoir que m’annonce le jugement du conseil, je reprends la couronne comme roi naturel & propriétaire ; me réservant néanmoins, si Dieu me conserve la vie, la liberté de remettre le gouvernement au prince, mon fils ainé, quand il aura l’âge, les qualités & l’expérience nécessaires à un souverain. Je consens que les Cortès s’assemblent pour reconnoître l’infant dom Ferdinand, en qualité de prince des Asturies. Donné à Madrid le 6 septembre 1724 ».

Abdication de Victor-Amedée II, roi de Sardaigne. Amedée II avoit régné glorieusement pendant un demi-siècle. Il avoit montré de la sagesse dans les circonstances les plus difficiles. Deux fois ses états avoient été sur le point de subir le triste sort qu’ils éprouvèrent sous le duc Charles III, & deux fois il avoit triomphé de la fortune prête à l’accabler. L’Europe avoit vu revivre en lui tous les grands hommes de la maison de Savoie.

Il résolut d’abdiquer, & il déclara que le motif de son abdication étoit de mettre quelqu’intervalle entre le trône & le tombeau ; que sa santé extraordinairement affoiblie par l’âge & par les travaux pénibles d’un règne de cinquante années, l’avertissoit de travailler au grand ouvrage de son salut, loin des embarras du gouvernement & des affaires ; & on exalta sa piété héroïque.

Cependant l’auteur[1] des anecdotes de l’abdication du roi de Sardaigne nous apprend que cette retraite fut l’effet de l’embarras où ce prince guerrier & politique se trouvoit pour avoir, presque dans le même temps, pris des engagemens opposés avec l’empereur d’Allemagne & avec le roi d’Espagne, qui se préparoient à faire la guerre en Italie. Il vit avec effroi ces deux monarque prêts à se concilier, & l’empereur en état de lui marquer son mécontentement ; il n’imagina d’autre expédient, pour écarter l’orage, que de descendre du trône, persuadé que son fils qu’il avoit formé à l’obéissance, l’y laisseroit ensuite remonter.

D’autres politiques ajoutent à ce motif celui du mariage secret de Victor-Amedée avec la comtesse douairière de Saint-Sébastien, qu’il déclara

  1. Le marquis de Fleury, piémontais. Voyez la Science du gouvernement, tom. 2.