Page:Encyclopédie méthodique - Economie politique, T01.djvu/151

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fief le possédant comme un simple particulier pourroit le posséder, la souveraineté qu’il a d’ailleurs ne peut communiquer à ce fief un droit qui n’y est pas attaché. Mais s’il n’a pas droit comme féudataire d’envoyer une ambassade au suzerain du fief, il a droit de lui en envoyer une en vertu de sa souveraineté. Lorsque les lettres de créance ne disent rien qui ait rapport au fief, son ambassadeur doit être admis, si quelqu’autre motif ne s’y oppose. Voyez l’article Admission des ministres. L’ambassadeur admis pourra parler, comme particulier, de ce qui regarde le fief ; mais le prince auprès duquel il résidera, ne manquera point aux règles du droit public, quand il refusera de l’entendre comme ministre sur cette matière.

Les partis ou les factions qui divisent un pays, ne sont pas reconnus par les puissances voisines ; & s’ils exercent le droit d’ambassade dans les cours étrangères, ce ne peut être qu’avec l’agrément de ces cours. Elles ont admis quelquefois des ambassadeurs de l’un & de l’autre parti ; elles voyoient alors deux corps dans la même nation : elles regardoient chaque parti comme ayant le droit d’ambassade, par rapport au pays dont il étoit en possession, & dont il se prétendoit souverain.

Les puissances étrangères n’envisagent guères ici que la possession : elles ont reçu quelquefois les ambassadeurs de l’usurpateur, dans le temps où elles refusoient d’admettre ceux du prince légitime. Les ministres de Cromwel, protecteur d’Angleterre, étoient admis en France, lorsqu’on y refusoit audience à Charles II lui-même[1], dont Cromwel occupoit le trône[2]. Ce roi d’Angleterre, qui avoit d’abord été accueilli, & ensuite abandonné[3] par les François, étoit fort bien traité à la cour d’Espagne. L’intérêt produisit cette différence : la France avoit des liaisons utiles avec Cromwel, & l’Espagne jalouse favorisoit Charles II, parce que Cromwel s’étoit attaché à Louis XIV.

Dans le même temps qu’un autre prince détrôné[4], étoit traité en France comme roi d’Angleterre, le prince[5], qui s’étoit emparé de ses états, y fut reconnu solemnellement[6] ; cela n’empêcha point Louis XIV, après la mort de Jacques II, de reconnoître le prince Stuard pour roi d’Angleterre.

Le pape Urbain VIII reconnut roi de Portugal le Duc de Bragance, sans cesser de reconnoître, en cette qualité, Philippe II, à qui la révolution venoit d’enlever ce royaume.

Philippe V fut reconnu à Rome pour souverain légitime de l’Espagne ; mais le même pape[7], qui l’avoit reconnu[8], reconnut aussi dans la suite[9], en la même qualité, l’archiduc d’Autriche, qui fut depuis empereur sous le nom de Charles VI.

En abdiquant la couronne, un prince renonce au droit d’ambassade qui est attaché, non à sa personne, mais à sa souveraineté.

Les corsaires & les pirates[10] n’ont pas le droit d’ambassade. Si les princes de l’Europe reconnoissent les ministres d’Alger, de Tunis & de Tripoli, c’est parce qu’on suppose que les chefs de ces trois pays d’Afrique n’autorisent pas les pirateries ; c’est à cause de l’étendue de leurs possessions ; c’est parce qu’ils ont une république, une cour, un trésor, des citoyens ; c’est enfin à cause de leur liaisons avec l’empire Turc, dont ils sont tributaires.

Les écrivains politiques ont voulu établir des principes sur tout ; ils oublient que les états ne se conduisent guères que par des raisons de convenance & d’intérêt. Quelques auteurs ont examiné si le droit d’ambassade appartenoit aux vicaires généraux des Pays-Bas, aux gouverneurs du Milanez, aux vice-rois de Naples & de Sicile, lorsque ces divers pays dépendoient de la couronne d’Espagne. Les exemples qu’ils rapportent sont opposés les uns aux autres, & ils laissent la question indécise. Des princes ont reçu des ambassadeurs qui leur étoient envoyés par ces gouverneurs, d’autres ont refusé de les reconnoître. Il ne s’agit pas ici du fait, mais du droit.

En pareils cas, il faut toujours examiner quelle est l’étendue de la commission du gouverneur. Ainsi lorsque Louis XII, roi de France, envoya le cardinal d’Amboise dans le Milanez ; il lui accorda des lettres patentes qui l’établissoient son lieutenant général & le représentant de sa personne. Les mêmes lettres lui donnoient le pouvoir de traiter avec les princes, de leur envoyer des ambassades & d’en recevoir, de faire généralement tout ce que le roi pourroit faire en personne. Si les gouverneurs envoyés par l’Espagne dans les Pays-Bas, étoient munis des mêmes lettres, ils avoient sûrement le droit d’ambassade.

  1. En 1659, Mazarin qui négocioit la paix des Pyrénées, refusa de le voir. Voyez dans les lettres de Mazarin, celle qu’il écrivit à le Tellier, le 28 d’octobre 1659.
  2. Depuis 1651
  3. En 1655, il eut ordre de sortir de France
  4. Jacques II.
  5. Guillaume III.
  6. Par l’article III du traité de Riswick.
  7. Clément XI.
  8. En 1701.
  9. En 1709.
  10. Voyez l’article Corsaires & l’article Pirates, où l’on explique la différence qu’il y a entre les corsaires & les pirates.